#anthologie #31 | Dieu s’est invité

… le père le fils le saint esprit et tout le tralala les histoires de petit Jésus dans la crèche Notre père qui es aux cieux je l’entends murmurer je vois ses lèvres remuer je m’approche je me penche au-dessus d’elle étendue sous son drap comme emmaillotée déjà dans un linceul je lui chuchote Que ton nom soit sanctifié Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel combien d’années de ferventes prières a-t-elle prononcé et avant elle sa mère ses grands-mères arrière-grands-mères c’est une longue lignée de femmes qui m’adorent qui m’adorent tellement que parfois j’en rappelle une à moi c’est ce que le père a dit aux trois gamines et les tantes ont surenchéri et les grands-parents acquiescé qu’auraient-ils pu dire de plus le petit Jésus il aime tellement votre maman qu’il l’a rappelée au ciel auprès de lui

… j’ai lu l’avis dans le journal « décédée à Lyon le 17 mai 1934 à l’âge de 38 ans munie des sacrements de l’Eglise »est-ce qu’elle y pense encore à sa maman y at-t-elle pensé tout au long de sa longue vie quatre-vingt-dix ans sans elle est-ce qu’on y pense encore après tout ce temps ou bien le vide a-t-il été rempli par des prières à mon adresse leur premier mort j’ai été crucifié je suis mort et enterré je suis revenu d’entre les morts j’ai ressuscité Donne-nous aujourd’hui le pain de ce jour elle ne s’alimente plus depuis qu’elle est arrivée à l’hôpital elle n’en peut plus elle veut partir allongée qu’elle est sur un matelas pneumatique pompant l’air sa bouche pompant l’oxygène comme la carpe dans un bruit de chuintement elle voit des feuilles de papier tomber du plafond

… mal assise sur une chaise en plastique elle imagine à quoi ça doit ressembler les dalles du faux-plafond fuyant vers l’autre rive

… du regard elle enveloppe le corps alité devant elle ce qui se joue là sous ses yeux impuissants la parole manque ses pensées s’ankylosent Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés elle n’a pas voulu voir un psychiatre je ne suis pas folle a-t-elle dit on lui a proposé de voir un aumônier et là elle a dit oui alors j’en ai profité pour me glisser dans sa chambre la chambre 421 celle au bout du couloir dans laquelle tout se joue entre elle et moi le mort de service c’est moi je suis le crucifié mais les enfants n’ont pas osé cloué au mur de crucifix Et ne nous soumets pas à la tentation mais délivre-nous du mal elle dit ils continuent de se battre elle articule Les Juifs et les Arabes

… je l’ai déçue c’est sûr je l’ai déçue je lui ai ravi sa mère et tout mort que je suis je n’ai pas réussi à ramener la paix sur terre Amen je vous l’emmène

A propos de Cécile Marmonnier

Elle s’appelle Sotta, Cécile Sotta. Elle a surtout vécu à Lyon. Elle a été ou aurait voulu être marchande de bonbons, pompier, dame-pipi, archéologue, cantinière, professeure de lettres certifiée. Maintenant elle est mouette et fermière. En vrai elle n’est pas ici elle est là-bas. Elle s’entoure de beaucoup de livres et les transporte avec elle dans un sac. Parfois dans un carton quand il ne pleut pas. Elle n’a pas assez d’oreilles pour les langues étrangères ni de mémoire sur son disque dur. Alors elle écrit. Sur des cahiers sur des carnets sur des bouts de papier en nombre. Et elle anime des ateliers d’écriture pour ne pas oublier de vivre ni d'écrire.

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