{suite du texte #anthologie #23}
Je savais bien sûr que j’allais rencontrer cet écueil. Puis-je simplement parler d’écueil ? Avant même de me lancer dans cette aventure de remonter le temps, je savais que j’allais arriver à cet endroit, cet instant, cet espace. Je ne savais pas quand, ni quelle forme allait prendre ce point de bascule, je savais juste qu’il existait. Et j’y étais.
J’étais sur le seuil d’une porte que je venais d’ouvrir et j’étais sur le point de ne pas encore exister. Je n’existerai pas encore quand je franchirai cette porte. Ou plutôt, j’existerai d’une autre façon. Je le sais aujourd’hui puisque je vous écris, je ne le savais pas juste avant de franchir la porte. Disons que je m’en doutais. Le mot est inexact, j’en étais persuadé.
La mort est le monde du post-être, j’entrai moi dans l’univers du pré-être. Comment définir autrement cet espace (ce temps ?) où nous ne sommes pas encore ? Je devrais vous écrire au passé, mais le manuel de conjugaison dans lequel j’ai appris à lire ne m’est guère utile aujourd’hui, le temps que j’étais sur le point de rejoindre n’existait pas. J’ai fait un premier pas et j’ai franchi le seuil de la porte.
« Est-ce que j’existe ? »
Les premières sensations que j’éprouvais étaient douloureuses. La vie devenait fantôme comme un membre amputé qui croit qu’il est encore. Mon corps croyait déjà être alors qu’il n’était pas encore. Comment qualifier l’inverse d’un souvenir ? J’ai fait un deuxième pas et je suis entré.
« Si je n’existe pas encore, comment puis-je entendre le son de ma voix ? »
J’ai vite abandonné toute question logique, ma situation ne m’autorisait pas à philosopher. J’ai laissé aller ma pensée libérée des contingences matérielles qui l’accompagneront quand je serai. Le cerveau est une cage, on s’en rend compte quand on n’a en a plus. J’ai marché.
Je crois qu’il faisait frais. L’air me soulevait. Je n’ai jamais volé mais je crois que je volais. Peut-être que je nageais plutôt. L’eau était fraîche et je nageais sans effort. Une pensée peut-elle traverser une pierre ?
Je me laissais porter à contre-courant du temps.
si beau !
« Le cerveau est une cage, on s’en rend compte quand on n’a en a plus. J’ai marché. » merci Jean-Luc pour ce texte (je l’ai lu sans la #23 et j’aime le doute qui persiste)