#anthologie #31-1 | mort-danse

{suite du texte #anthologie #05}

Est-ce que je suis morte ? Est-ce que je suis vraiment morte ? Si je suis morte, alors, pourquoi je peux parler ? Si je suis morte, alors, pourquoi est-ce que tu peux m’entendre ? Parce que tu m’entends ? Hein, tu m’entends ?

Tu n’es pas morte, tu es un souvenir. Ce n’est pas la même chose. Parfois un souvenir est ce qui reste de la mort, mais d’autres fois, cela n’a rien à voir. Un souvenir, c’est juste une trace de quelque chose qui n’est plus. Ou de quelqu’un. Un souvenir qui meurt, c’est juste des traces qui s’effacent, qui disparaissent. Quand quelqu’un meurt, on dit qu’il disparaît. Quand un souvenir s’efface, on dit qu’il disparaît lui aussi. Peut-être que les souvenirs meurent après tout.

Je ne connais pas cette femme qui porte son corps devant elle, mais je connais ce corps. Cette femme ne me connaît pas, moi qui porte mon corps devant moi, mais elle le connaît, ce corps. Ou elle l’a connu. Peut-être est-il un souvenir ? Peut-être est-il un souvenir effacé, un souvenir qui n’est plus ? Un souvenir mort.

Je vous l’ai déjà dit, il y a longtemps, Esther et moi nous n’étions qu’un·e. Je ne sais plus quand nous sommes redevenus deux. Aujourd’hui, nous ne sommes rien. Je suis un souvenir mort pour cette vieille femme. Elle est une Esther morte pour moi. Nous sommes morts et nos corps sont portés par une vieille femme et un vieil homme qui ne se connaissent pas.

Parfois, je me dis que le seul lien qu’il existe entre les corps que nous transportons et nous-mêmes, ce lien n’est pas un sentiment, ni même un souvenir, c’est une danse. Vous qui habitez temps, vous comprenez ce que je veux dire. Une danse n’existe pas avant, mais elle se poursuit après. Ce n’est pas un souvenir figé, c’est un souvenir qui continue d’exister, non pas comme un souvenir, mais comme quelque chose de vivant, qui se nourrit de musique et de bien d’autres choses. Les morts qui sont des danses ne sont pas des vraies morts, de celles qu’on oublie. On n’oublie pas une danse. Les danseurs et les danseuses ne meurent pas. Esther n’est pas morte. Je ne suis pas mort. Nous dansons.

A propos de JLuc Chovelon

Prof pendant une dizaine d'années, journaliste durant près de vingt ans, auteur d'une paire de livres, essais plutôt que romans. En pleine évolution vers un autre type d'écritures. Cheminement personnel, divagations exploratives, explorations divaguantes à l'ombre du triptyque humour-poésie-fantastique. Dans le désordre.

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