Je vois le stylo, je souris. Je souris, je le veux. Je veux acheter ce stylo. Je le prends, il pèse son poids même si je sais qu’un stylo moulé dans de la résine en forme de Sainte Vierge, mains jointes, habits violet et blanc, tête penchée, voile clair et auréole dorée n’est pas fait pour écrire au quotidien. Je l’ai pris, soupesé, retourné, je le trouve parfait. Aussi je ne le repose pas parce que je le veux. Dès que je l’ai vu je l’ai voulu. Parce qu’il est incongru. Qui peut bien acheter un stylo Sainte Vierge ? Moi. Cela me fait sourire. Ce stylo me plaît vraiment. Non pas que je croie en Dieu. Ce temps-là est révolu. J’y ai cru petite fille quand je croyais encore à tout ce qu’on me disait. J’avais une statuette de Sainte Vierge sur ma table de nuit, elle brillait la nuit. Le soir je faisais mes prières avec les cousines, ribambelles d’enfants à genoux au pied du lit, têtes penchées, mains jointes. J’adorais. C’était intense, joyeux, on murmurait toutes en même temps et avec ferveur les mêmes mots collés à la queue leu leu sans vraiment les comprendre. C’est vrai que la Sainte Vierge du stylo ressemble à la statue de mon enfance. Elle sont habillées pareil : un voile clair, une auréole dorée, elles ont le même air penché, par contre les couleurs de la robe diffèrent, celle de mon enfance était bleue. On pourrait les croire sorties d’un même moule sauf qu’elles n’ont pas la même taille. C’est peut être ce souvenir-là qui m’est revenu devant le bac à stylos Sainte Vierge. Peut-être est-ce pour cela que je l’ai voulu ce stylo. Pour cela que je l’ai pris. Pour le souvenir, pour les cousines, les prières bourdonnantes ou pour le sourire, le côté incongru. Bien sûr que je n’écrirai pas avec, il offre une mauvaise prise entre l’index, le pouce et le majeur avec ce drapé ondulé épais qui cache le corps, recouvre les pieds. Sur le bord du bac, un carnet de feuilles blanches pour tester les stylos. D’accord je n’écrirai pas avec mais je le teste parce que c’est un stylo. S’il ne marche pas, je n’en veux pas. Un stylo qui ne marche pas c’est comme une Sainte Vierge sans auréole. Il marche. Tant mieux. Je ne l’aurais pas pris s’il ne marchait pas. À quoi sert un stylo qui ne marche pas ? Ce n’est plus un stylo. Même si je ne veux pas écrire avec, c’est un stylo, il doit marcher. L’encre est bleue. Parfait. Imaginer un instant écrire une prière qui monte aux cieux ? Mon sourire s’élargit. Et si j’en prenais deux ? J’en prends deux. Non pas que j’ai besoin de deux stylos Sainte Vierge. Mais je me connais, si je le perds – je perds souvent mes stylos, d’ailleurs je perd tout – il en restera au moins un. Un stylo Sainte Vierge. Ou alors je pourrais l’offrir à Ève. Elle est athée, absolument athée, bien plus que moi si tant est qu’on puisse mesurer le degré d’athéisme de quelqu’un. J’en prends un deuxième pour la faire sourire parce que c’est une amie. je pense à ces mots écrits sur l’aimant du radiateur de la cuisine : « Be the reason someone smiles today ». Je lui dirai : j’ai trouvé un cadeau parfait pour toi et je le lui donnerai. Ok j’en prends deux. Trois ? Au cas où j’en perdrai un. Il ne faut pas exagérer. Déjà un, c’est exagéré, deux c’est pour que Ève sourit, mais trois ? non. Je teste le deuxième. Je connais Ève, elle le testera aussi car s’il ne marche pas, à quoi bon ? Même si bien sûr, elle non plus n’écrira jamais avec ce stylo, il est trop lourd, peu pratique. Le deuxième marche, je le prends. je souris à nouveau. Plus tard j’offrirai le stylo Sainte Vierge à Ève. Elle sourira comme prévu, je sourirai avec elle. Le mien finira dans un pot à crayons sur ma table de chevet au milieu d’autres stylos qui eux me servent à écrire. La boucle sera bouclée.
J’ai un stylo Sainte Vierge sur ma table de chevet. Rien que d’écrire ces mots, je souris à nouveau.
Il y a cette publicité dans un magazine, un cadeau gratuit offert aux 100 premières personnes qui enverront leurs coordonnées. C’est une campagne publicitaire vantant les mérite du premier stylo qui se jette, un stylo-plume révolutionnaire, léger, simple, pratique et économique, qui ne nécessite aucune cartouche de rechange, un stylo qui laisse les mains propres et qui se jette quand il ne marche plus. Les enfants qui n’ont pas l’habitude de jeter grand chose – ici on prend soin de ses affaires et on les fait durer le plus longtemps possible – s’imaginent tenir le stylo entre les doigts, écrire et hop ! le jeter par-dessus leur épaule. Ils rient. Le plus grand envoie ses coordonnées, il offre le stylo qui se jette à la plus petite. Comme ça tu auras enfin les mains propres, finies les taches et les 100 lignes de punition Je dois écrire proprement à faire le soir. La petite toute fière glisse le stylo-plume qui se jette dans sa trousse et s’en va à l’école. Le soir le plus grand l’attend Alors ? La petite sourit Je l’ai jeté. Dans la publicité ils n’ont pas dit qu’il écrivait, voilà il n’écrivait pas, par contre il fuyait, regarde. La petite ouvre ses mains sur ses doigts tachés d’encre et s’installe sur la table de la cuisine pour recopier ses 100 lignes de Je dois écrire proprement. N’empêche j’ai bien ri quand je l’ai jeté.
C’est un amoureux des stylos. Ils se promènent enlacés dans Paris quand soudain il tombe en arrêt devant la grande papeterie boulevard Saint-Martin. Qu’est-ce qui se passe ? Regarde un stylo qui fait de la lumière. Sérieux ? Viens on y va… Mais il reste le nez collé à la vitrine. C’est la première fois que je vois ça, c’est dommage que ce soit si cher. Et tu en ferais quoi , soit tu écris, sois tu tu éclaires, tu vois bien que tu ne peux pas faire les deux à la fois ! N’empêche, c’est classe un stylo qui éclaire, imagine c’est la nuit, tu prends ton stylo et ça te donne de la lumière. Elle rit. Tu peux aussi appuyer sur l’interrupteur ou allumer une lampe de poche. Il se décolle à regrets de la vitrine. C’est pas pareil.
Elle s’est procurée le stylo qui fait de la lumière, une fortune, elle le lui offre pour son anniversaire. Il est si heureux qu’il galope comme un enfant J’ai un stylo qui éclaire.
Cela ne dure qu’un temps, tout comme leur amour. Le stylo écrit mais ne fait plus de lumière, il le garde quand même et quand n’écrit plus il le glisse dans la poche du ciré qu’elle a oublié chez lui quand elle est partie. Le vêtement voyage de déménagement en déménagement avec le stylo dans la poche, Il ne peut se résoudre à tout jeter. Peut-être qu’un jour elle pourrait entrer chez lui, enfiler son imper, glisser la main dans la poche, en sortir le stylo et tout redeviendrait comme avant, ils s’aimeraient, il y aurait encore de l’encre pour écrire les mots et de la lumière dans la nuit.
Quand elle va à Paris, elle achète ses stylos violets par paquet de dix, au sous-sol de Gibert Jeune, face à la fontaine Saint-Michel et cela pendant des années. Les stylos s’usent, se perdent, s’offrent ou sont empruntés puis oubliés… Un jour Gibert Jeune disparaît. Plus de stylos violets. Elle pense à tous ces mots qu’elle a pu écrire avec. Où sont-ils partis ? Qu’est-ce qu’il en reste ?
Et je souris aussi… texte très plaisant ! Merci !
On se laisse porter par ces histoires de stylos bizarres, qu’un jour sans doute on a eu envie d’avoir dans son pot à stylos . Merci Françoise pour ce texte joyeux et les rires déclenchés à la lecture !
On imagine très bien ce stylo régner sur la table de chevet, au milieu de ses congénères avec un petite auréole juste au dessus! Merci !
quelle belle histoire, qu’il en soit ainsi…
Merci pour le sourire.
Et la fluidité de tout ce qui peut se passer devant un simple stylo. Bravo !
« écrire une prière qui monte aux cieux », beau !