#anthologie #3 I Le stylo

Je vois le stylo,  je souris. Je souris, je le veux. Je veux acheter ce stylo. Je le prends,  il pèse son poids même si je sais qu’un stylo moulé dans de la résine en forme de Sainte Vierge, mains jointes, habits violet et blanc, tête penchée, voile clair et auréole dorée n’est pas fait pour écrire au quotidien. Je l’ai pris, soupesé, retourné, je le trouve parfait. Aussi je ne le repose pas parce que je le veux. Dès que je l’ai vu je l’ai voulu. Parce qu’il est incongru. Qui peut bien acheter un stylo Sainte Vierge ? Moi. Cela me fait sourire. Ce stylo me plaît vraiment. Non pas que je croie en Dieu. Ce temps-là est révolu. J’y ai cru petite fille quand je croyais encore à tout ce qu’on me disait. J’avais une statuette de Sainte Vierge sur ma table de nuit, elle brillait la nuit. Le soir je faisais mes prières avec les cousines, ribambelles d’enfants à genoux au pied du lit, têtes penchées, mains jointes. J’adorais. C’était intense, joyeux, on murmurait toutes en même temps et avec ferveur les mêmes mots collés à la queue leu leu sans vraiment les comprendre. C’est vrai que la Sainte Vierge du stylo ressemble à la statue de mon enfance. Elle sont habillées pareil : un voile clair, une auréole dorée, elles ont le même air penché, par contre les couleurs de la robe diffèrent, celle de mon enfance était bleue. On pourrait les croire sorties d’un même moule sauf qu’elles n’ont pas la même taille. C’est peut être ce souvenir-là qui m’est revenu devant le bac à stylos Sainte Vierge. Peut-être est-ce pour cela que je l’ai voulu ce stylo. Pour cela que je l’ai pris. Pour le souvenir, pour les cousines, les prières bourdonnantes ou pour le sourire, le côté incongru. Bien sûr que je n’écrirai pas avec, il offre une mauvaise prise entre l’index, le pouce et le majeur avec ce drapé ondulé épais qui cache le corps, recouvre les pieds. Sur le bord du bac, un carnet de feuilles blanches pour tester les stylos. D’accord je n’écrirai pas avec mais je le teste parce que c’est un stylo. S’il ne marche pas, je n’en veux pas. Un stylo qui ne marche pas c’est comme une Sainte Vierge sans auréole. Il marche. Tant mieux. Je ne l’aurais pas pris s’il ne marchait pas. À quoi sert un stylo qui ne marche pas ? Ce n’est plus un stylo. Même si je ne veux pas écrire avec, c’est un stylo, il doit marcher. L’encre est bleue. Parfait. Imaginer un instant écrire une prière qui monte aux cieux ? Mon sourire s’élargit. Et si j’en prenais deux ? J’en prends deux. Non pas que j’ai besoin de deux stylos Sainte Vierge. Mais je me connais, si je le perds – je perds souvent mes stylos, d’ailleurs je perd tout – il en restera au moins un. Un stylo Sainte Vierge. Ou alors je pourrais l’offrir à Ève. Elle est athée, absolument athée, bien plus que moi si tant est qu’on puisse mesurer le degré d’athéisme de quelqu’un. J’en prends un deuxième pour la faire sourire parce que c’est une amie.  je pense à ces mots écrits sur l’aimant du radiateur de la cuisine : « Be the reason someone smiles today ». Je lui dirai : j’ai trouvé un cadeau parfait pour toi et je le lui donnerai. Ok j’en prends deux. Trois ? Au cas où j’en perdrai un. Il ne faut pas exagérer. Déjà un, c’est exagéré, deux c’est pour que Ève sourit, mais trois ? non. Je teste le deuxième. Je connais Ève, elle le testera aussi car s’il ne marche pas, à quoi bon ? Même si bien sûr, elle non plus n’écrira jamais avec ce stylo, il est trop lourd, peu pratique. Le deuxième marche, je le prends.  je souris à nouveau. Plus tard j’offrirai le stylo Sainte Vierge à Ève. Elle sourira comme prévu, je sourirai avec elle. Le mien finira dans un pot à crayons sur ma table de chevet au milieu d’autres stylos qui eux me servent à écrire. La boucle sera bouclée. 
J’ai un stylo Sainte Vierge sur ma table de chevet. Rien que d’écrire ces mots, je souris à nouveau. 

A propos de Françoise Guillaumond

Ecrivain, directrice artistique de la compagnie La baleine-cargo sur Wikipedia, ou directement sur la baleine cargo.

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