La pendule ronde à quartz était accrochée au mur de la cuisine, j’ai levé les yeux vers elle, pas pour regarder l’heure, depuis longtemps je ne changeais plus les piles, j’ai regardé la pendule et je me suis dit, tiens, je vais décrocher la pendule. J’étais attablée et mangeais des spaghettis quand m’est venue cette idée, décrocher la pendule. Immédiatement, je n’ai plus voulu manger. Comme si ce tiens, je vais décrocher la pendule, surgi de je ne sais où, avait d’un coup resserré les parois de mon estomac.
Toujours assise sur mon tabouret, j’ai repoussé l’assiette, et j’ai regardé la pendule attentivement. Je me préparais à décrocher la pendule.
Elle serait sans doute un peu crasseuse, j’imaginais les doigts d’une de mes mains collés à la poussière grasse du cadre tandis que l’autre soulèverait la pendule pour la dégager du piton planté dans le mur. Toute en plastique à part la lentille de verre fin, elle ne devait pas être lourde. Décrocher la pendule, c’était à ma portée. L’idée continuait de me réjouir, je pensais à la trace que son absence laisserait sur le mur, un cercle plus blanc, plus brillant, le crochet comme un insecte naturalisé, je voyais la pendule posée à plat sur mes mains, couchée en quelque sorte, après s’être si longtemps tenue dressée au-dessus de ma tête. Cette image me touchait, comme une consolation.
Approchant ma main droite de l’oreille, j’ai écouté le crissement du pouce frotté contre l’index. Ce serait délicieux de tourner le bouton de réglage de l’heure pour faire avancer la grande aiguille, la petite suivrait.
La suite n’aurait été qu’une question d’équilibre, j’appuierais une main contre le mur, poserais un pied sur le tabouret, je me hisserais à hauteur de la pendule pour la décrocher. A l’instant où j’imaginais cette confrontation, mon visage face au cadran de la pendule, m’est venue la question. J’en ferai quoi, de la pendule ? Et de la même façon que tiens, je vais décrocher la pendule m’avait coupé l’appétit, j’en ferai quoi de la pendule a stoppé net mon élan.
Je ressentais pourtant au creux de ma poitrine la chaleur du bercement, la pendule couchée sur mes mains pleines de tendresse.
Un tic-tac battait à nouveau comme un petit coeur comblé.
Je tombe en arrêt devant la pendule arrêtée et je pense au coucou que j’ai décroché du mur de la cuisine au décès de ma mère. Merci Aline
Très joli texte Aline. Merci