#anthologie #3 | contraste

À propos d’elle me revient ça, affaire de matière, de matière solide, la matière qui nous fait là-dedans corps formé, solide, rigide, droit, dressé, nos corps humains squelettes. A propos d’elle, me revient ça, et le jour où elle a dans les mains un morceau, un morceau découpé à la scie dans le travers de la chose bovine rigide, vendu comme trésor, un morceau ou deux tout au plus, pour ça, la cuisson, le goût, la consistance, elle a ça dans les mains, un morceau bouilli vingt minutes à feu doux, elle regarde ça, elle se prépare, elle annonce Je mange ça, elle le veut très fort, elle fait bouillir le morceau dans l’eau, vingt minutes dans l’eau bouillante, la casserole sur le feu, assise à attendre, à couper le pain, à en griller un morceau, à vérifier le sel, assise et debout dans la salle commune d’une petite école, à manger, l’odeur que ça prend tout autour, elle dit Tant pis je mange ça aujourd’hui, c’est la saison, les jours raccourcissent, le soleil fait défaut, un peu de ça et j’irai mieux. Elle extrait de la forme rigide, ronde bien qu’irrégulière, un peu de la matière convoité, la matière molle, moelleuse et nacrée, protégée du dehors jusque-là, isolée, matière intérieure à l’intérieur de l’intérieur quand la bête bovine s’élevait de lait, puis d’herbe et de foin, inaccessible matière précieuse de croissance, entre ses doigts le morceau coupé à la scie dans fémur de bovin destiné cuisson, on trouve trace de ces festins aux abords des abris sous roche, matière riche et nourrissante, mystérieuse et peut être magique, de la pointe d’un couteau à fouiller les moindres traces, étaler sur le pain le délice parfois teinté de veines grises, quelques grains de sel gros, exalter la saveur maximale de la chose tiède et grasse, unique et rare, mangée religieusement par celle que je regarde sans bien comprendre, sauf à l’entendre dire Ça non, je ne se partage pas. 

A propos de Catherine Serre

CATHERINE SERRE – écrit depuis longtemps et n'importe où, des mots au son et à la vidéo, une langue rythmée et imprégnée du sonore, tentative de vivre dans ce monde désarticulé, elle publie régulièrement en revue papier et web, les lit et les remercie d'exister, réalise des poèmactions aussi souvent que nécessaire, des expoèmes alliant art visuel et mots, pour Fiestival Maelström, lance Entremet, chronique vidéo pour Faim ! festival de poésie en ligne. BLog : (en recreation - de retour en janvier ) Youtube : https://www.youtube.com/channel/UCZe5OM9jhVEKLYJd4cQqbxQ

Un commentaire à propos de “#anthologie #3 | contraste”

  1. Merci Catherine, pour ce texte qui mélange pêle-mêle une grande émotion dans ce « elle », ces petits gestes, d’un personnage qui doit manger ça « tant pis » (presque visée sociale) et la précision extrême, presque écœurante et ressassée du « morceau » en question. émouvant et terrible en même temps