#anthologie #04 | appartenir

On disait toujours la maison, mais sauf une fois vers mes 6 ans, ce sont des appartements. De la maison en Espagne, je garde un souvenir froid et un autre où installée à une table je remplie un cahier de vacances, ou un de ces carnets de dessins magiques apparaissant de colorier toute la page au crayon de bois. 

Elle a trouvé une maison de plain pied, une de ces villas années 70 posée dans un jardin, un gros cerisier aux cerises charnues au jus rouge profond motive son choix en plus de tenter la vie de famille. Avant et après, dans trois appartements, elle vit seule, en célibataire. Je ne crois pas lui avoir connu plus de quatre logements durant les neufs années de notre amitié. 

Dans les appartements il est difficile de faire fi des voisins, des contingences, des hauteurs ou des paliers entre nous et dehors. A vivre dans une maison on oublie vite ces contingences.

Un jour elle dit Cette maison c’est pour le cerisier. Vivre en famille, je ne sais pas.

Son dernier appartement est au second quand lui l’homme qui l’aime vit un étage au-dessus, deux appartements achetés en même-temps, l’alternative à la cohabitation en famille. Les deux appartements occupant des positions symétriques dans l’immeuble, le sien sur le palier de gauche donne sur la cour, l’autre donne sur la rue. Elle sera couchée chez lui la dernière fois que je lui rendrai visite, dans l’alcôve du salon d’où elle voit la fenêtre, un peu de ciel. Bientôt ce sera la fête nationale, la nuit du feu d’artifice sera la dernière pour elle.

Sonner à la porte de ses appartements, c’est avoir le temps d’un long moment à boire du thé dans sa cuisine, une casserole avec un reste de pâtes, une assiette renversée sur l’égouttoir et une autre posée dans l’évier, des paquets de biscuits entamés, quelques fioles de mélanges médicamenteux qui guérissent lentement des rhumes sans fins, des sinusites permanentes. Pour sa fatigue, elle ne se soigne pas, elle attend car une chose manque : le soleil. Il lui faut patienter en buvant du thé, en mangeant des nourritures blanches. Après ça ira mieux. Elle fera un voyage Le Maroc ou la Turquie ? J’hésite.

La maison de la montagne a été habitée. Jusqu’aux années cinquante sans doute. Jusqu’au moment de prendre la grand-mère avec eux. Il y avait encore des pigeons au colombier à cette époque. Dans la serve, on rinçait le linge évitant le lavoir.

Une maison dans la montagne, même moyenne, a une façon de bâti protégeant du froid, au temps d’avant le chauffage central. Ouvertures étroites. Peu nombreuses. Pièces fermées sur elles-mêmes. On les trouve sombres. 

Faire du yoga dans le salon où vit une femme hippie aux pieds nus. La corne de ses pieds lui fait une semelle de protection, presque un sabot. A propos d’une douleur violente et soudaine elle dira C’est le diaphragme. C’est l’amie qui m’a convaincue d’essayer le yoga, de rejoindre la maison hippie, sa propriétaire qui la prête pour la journée, la professeure qui fait quatre heures de route pour ce petit groupe de motivées. Toutes trois sont mortes depuis. Leurs maisons appartiennent à d’autres.

Les invitations à la maison de la montagne sont un marqueur du degré d’amitié qui nous relie. Pendant plusieurs années elles rythmeront les printemps. Un jour ce sera la dernière.

A propos de Catherine Serre

CATHERINE SERRE – écrit depuis longtemps et n'importe où, des mots au son et à la vidéo, une langue rythmée et imprégnée du sonore, tentative de vivre dans ce monde désarticulé, elle publie régulièrement en revue papier et web, les lit et les remercie d'exister, réalise des poèmactions aussi souvent que nécessaire, des expoèmes alliant art visuel et mots, pour Fiestival Maelström, lance Entremet, chronique vidéo pour Faim ! festival de poésie en ligne. BLog : (en recreation - de retour en janvier ) Youtube : https://www.youtube.com/channel/UCZe5OM9jhVEKLYJd4cQqbxQ