#anthologie #29 pas un simple oubli

Il voulait lui dire, n’avait pas réussi, elle viendrait, elle verrait. Je quitte la nationale pour le petit chemin Il y a trois façons d’arriver au village je choisis de préférence le petit chemin qui est goudronné seulement au début et qui n’est pas entretenu je suis secouée dans les ornières Je n’aime pas la route du bas qui quitte abruptement la nationale je l’anticipe bien trop tôt je ne me souviens jamais du moment où elle va apparaître ni derrière quel virage Elle débouche à côté du cimetière Nous irons comme chaque fois elle me dira encore sa consolation de le savoir bien là presque à voir les montagnes qu’il aimait …Il voulait lui dire, n’avait pas réussi, comment lui dire qu’il avait voulu l’accompagner qu’elle avait demandé pourquoi aller là, qui est là. La route du milieu permet de voir le village de loin et la maison aussi On distingue le balcon dès la sortie de la nationale c’est trop tôt pour moi Le petit chemin passe devant la ferme où nous allions avec mes frères chercher le lait à pied après dix huit heures Les enfants ont repris et vendent aussi du fromage Je l’emmène parfois Marcher ensemble sans besoin de parler masquer pour un temps les incohérences juste se rappeler le nom des fleurs sur les bas côtés…Il voulait lui dire, n’avait pas réussi, il se souvient des expéditions à la laiterie, le retour, les disputes pour ne pas porter la bouteille pleine. Il voulait lui dire qu’elle n’a plus la force ni l’envie de marcher sur ce chemin. J’ai l’impression à chaque fois de découvrir de nouveaux chalets Je m’arrête un instant à la sortie des bois la vallée dessous et les montagnes en face Saisissant ce moment quand la nuit est presque tombée cette pause respiration avant C’est plus long par ici je ne suis pas pressée d’arriver même si je sais qu’elle m’attend guettant sur le balcon…Il voulait lui dire, n’avait pas réussi, elle ne lui demande plus chaque jour quand elle viendra, elle ne sort plus sur le balcon. Le petit chemin passe au-dessus du cimetière Le village est éclairé un premier lampadaire dès la sortie du pont au dessus du torrent Une seule rue Il n’y a jamais de place pour se garer Je n’espère pas pouvoir stationner devant l’église Je suis peut-être déjà en colère en effectuant la manœuvre délicate pour insérer en marche arrière ma voiture dans l’étroit passage sous les fenêtres Je remâche tout ce qui est étroit dans cette maison Je sors côté passager j’ai trop serré la voiture contre le muret et la portière côté conducteur ne peut s’ouvrir suffisamment J’interprète Mauvais signe J’ouvre le portillon en le secouant pour faire sonner la cloche J’arrive …Il voulait lui dire, n’avait pas réussi, elle n’entend plus la cloche perdue dans ses coloriages, elle n’entend plus la cloche plongée dans son livre toujours ouvert à la même page, le même livre. J’avance sur le balcon dans la pénombre la nuit est là les étoiles la vue les scintillements sur les montagnes Les volets des fenêtres sont fermés comme celui de la porte d’entrée Elle les ferme chaque soir rituel rassurant sa journée est terminée elle n’attend plus rien pour aujourd’hui ….Il voulait lui dire, n’avait pas réussi, elle viendrait, elle verrait. Je sais qu’elle a oublié.

A propos de Isabelle Charreau

j’arpente plus facilement les chemins de terre que les pavés de la ville, je fréquente l’atelier pour le plaisir comme des gammes, sans projet de partition

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