Rue du Taur 2023
Lumière douce, fin de journée. Je positionne l’appareil à hauteur des yeux. Vérifie l’exposition. Capturer le narrateur qui déambule, silhouette contre la façade rénovée.
La rue du Taur relie jonction de la place Saint-Sernin à la place du Capitole, en plein centre-ville. La place Saint-Sernin n’est plus un parking, elle est devenue piétonne, et le jardin autour de la cathédrale est désormais ouvert à tous. Le lycée est toujours là. Je n’y croise aucun élève. Ils sont probablement en cours. À travers les barreaux, j’aperçois des poules dans la cour de l’établissement.
Lumière plus dure ici, ombres marquées. Photo de l’ombre des barreaux sur le sol. Angles droits, lignes géométriques.
Je me dirige vers la rue du Taur pensant y retrouver beaucoup. Rien n’a vraiment changé. Je passe devant le cabinet du psychiatre psychanalyste Ly. Quelqu’un a pris sa place, un psychologue clinicien. Derrière les volets clos, on vient encore y rencontrer sa parole. D’une toute autre manière, c’est certain.
Lumière rasante, jouer sur les ombres pour créer de la profondeur. Photo de la plaque du psychanalyste, capturer le contraste.
Je me demande si ça encore la grotte dedans. Presque envie de prendre rendez-vous pour y jeter un œil. Quelques odeurs me reviennent, celle de la porte, de la brique, et de la peinture, car monsieur Ly peignait dans ce qui servait de cuisine, entre deux consultations.
Éclairage diffus, capturer l’ambiance du couloir. Photo des murs, textures et couleurs.
J’avance de quelques pas. Le resto viet a changé de nom, ça a l’air toujours aussi mauvais. L’offre autour s’est diversifiée, toujours la crêperie du Sherpa avec les citations de Gide au mur, les mêmes verres, les mêmes couverts, le même gérant qui fait des allers-retours, les habituels kebabs et chawarmas mais désormais entouré de Burgers et Tacos.
Lumière contrastée à l’extérieur, jouer sur la saturation des couleurs des enseignes. Photo de la devanture du restaurant.
Je ne comprends pas pourquoi il y a autant de Tacos. Je n’en avais jamais vu ni à Toulouse, ni en France, et ici, rue du Taur, j’en vois partout. Je ne rentrerai pas dans l’église Notre Dame du Taur. Je cherche rue des pénitents gris, une galerie de peinture qui aurait remplacé celle d’Henri Laffont mais rien. Je rentre à Gibert Joseph. Fournitures scolaires, cahiers de vacances, livres de cuisine.
Éclairage intérieur, capturer l’agitation des lycéens. Photo des rayons de livres, en mouvement.
Il y a bien sûr un rayon littérature et des lycéens qui cherchent quelques bouquins de leur liste, mais pas le cœur pour chercher quoi que ce soit. Je commence à être de mauvaise humeur. La rue est bondée, le train touristique passe devant moi. La place du Capitole est écrasée par le soleil. Même si je suis venu sans aucune attente, j’attendais peut-être de retrouver quelque chose.
Sur-exposition à l’extérieur, capturer la lumière écrasante. Photo de la place du Capitole.
Mais j’ignore l’enfant, l’adolescent, le jeune adulte que j’ai été, je le cherche dans la silhouette d’autres. Mais je me sens à l’étranger. Je n’ai rien à faire ici.
Rue du Taur 1996
Lumière sombre, ambiance tendue. Photo du jeune narrateur devant le lycée, capturer la nervosité.
Je sèche. Je suis venu à l’heure pourtant mais pas envie d’y aller. En plus j’ai chimie. J’hésite un peu. Rentrer m’éviterait quelques problèmes. Mais je ne peux plus. De plus, depuis que tout le monde me tourne le dos, préfère aller errer. Je ne le fais pas par paresse, j’ai même un poids sur le ventre de ne pas m’y rendre.
Jouer sur les ombres, capturer l’angoisse de son visage. Photo du narrateur regardant l’entrée de l’église.
Je vois déjà les yeux de ma mère. Je me réfugie à l’église. Je m’y sens tout aussi coupable. Sentiment d’y être épié. Comment je vais me sortir de la merde dans laquelle je me suis mise. Je me suis grillée à jamais, auprès de tout le monde. Parce que tout le monde sait que j’ai menti.
Lumière diffuse, créer un flou sur les autres personnes présentes. Photo du narrateur attendant.
Même T. qui commençait à se rapprocher. T’as tout gâché ! Pourquoi tu mythones ? Pourquoi tu fais comme ton père ? J’ai envie d’aller lui demander des comptes ! Après tout, c’est lui qui m’a montré l’exemple.
Lumière directe sur la porte du psychiatre. Prendre une photo de l’entrée, capturer l’attente.
Au 3 de la rue du Taur, je sonne. « C’est moi, j’ai besoin de te parler ». Pas de réponse, mais le portail s’ouvre. Il doit être en consultation. Je vais l’attendre dans la salle d’attente où un autre patient attend son tour.
Lumière artificielle, capturer le malaise du patient. Photo des deux personnages dans la salle d’attente.
Il semble profondément gêné que je sois dans la même pièce. Je ressors. Je vais patienter au Sherpa. J’aime bien leur thé aux fruits rouges. Et puis y’a souvent d’autres étudiants à cette heure-là, plus âgés, sûrement de fac, j’aime bien être parmi eux, réconforté par leurs voix, leurs bruits.
Prendre une photo de l’intérieur du Sherpa, lumière chaleureuse. Capturer l’ambiance.
J’aime bien les regarder à leur insu. Il y a des jolies filles parfois. Elles ont l’air si à l’aise. Je me demande comment on fait pour être ainsi. Pas de chance aujourd’hui, y’a personne dans la salle. C’est encore trop tôt.
Lumière faible, ambiance vide. Photo de la salle déserte.
Je me demande pourquoi Cathy Nègre a fermé. Elle était antiquaire, juste en face. J’y allais parfois. Sa boutique, c’était comme entrer dans un trésor. Y’en avait partout. Difficile de s’y frayer un chemin.
Capturer la façade de la boutique fermée. Lumière triste.
Je passe à Gibert. Je tourne autour du rayon poésie. J’en vole un. Je ne connais même pas l’auteur. Je le vole sans aucune raison, pour le léger frisson que ça me procure.
Photo de son geste, saisir le moment furtif.
Et encore, je ne suis même pas sûr. Je sors rapidement et disparais derrière la porte de Notre Dame du Taur. Je m’assois et lis derrière quelqu’un qui prie. Je crois qu’il pleure.
Lumière tamisée à l’intérieur de l’église. Capturer l’intimité du moment.
J’ouvre le livre sans même consulter la couverture : « Tout le secret du bonheur du Contemplateur est dans son refus de considérer comme un mal l’envahissement de sa personnalité par les choses. » Pas sûr de comprendre, pas sûr de savoir si c’est à moi qu’il parle, ce… Francis Ponge… le parti pris des choses.
Photo du livre ouvert, cadrage serré sur le texte.
Je demanderais à papa s’il connaît. Il a peut-être fini la consultation. Mais que pourrais-je lui dire ? Et puis il va se demander pourquoi je ne suis pas en cours. Comme il ne connaît rien de mon emploi du temps, je trouverai une excuse.
Lumière extérieure, capter le contraste avec l’intérieur. Photo de l’église vue de l’extérieur.
En face de l’église, j’aperçois la galerie d’Henri Laffont. Elle est fermée. Je vois des peintures de Chaumier. Deux natures mortes, une vue de Venise.
Capturer les détails des tableaux, lumière naturelle pour faire ressortir les couleurs.
Et des tableaux à mon père. Je les trouve très beaux. J’en suis fier. J’aimerais dire au passant qu’il s’agit de mon père.
Photo de la présentation des artistes, lumière neutre.
Sur la porte, une présentation des artistes. On dit qu’il est un artiste « fino-vietnamien ». Sino ! Pas Fino ! et puis je comprends pas en quoi c’est nécessaire de préciser d’où il vient. Moi j’en ai marre de venir d’où je viens. J’ai faim, c’est bientôt la pause déjeuner. Y’a peut-être Tessa qui va sortir. Elle va souvent manger un Chawarma.
Capturer le moment de l’attente, lumière naturelle.
Et si j’y allais avant. Oui, organiser une rencontre impromptue. C’est une bonne idée, si elle est seule, elle daignera peut-être me parler. Quel mensonge vais-je bien pouvoir lui inventer pour le sortir de mon mensonge précédent.