#anthologie #16 | Tu ne dis rien ? En italique et en gras, le personnage.
Rien, pas un mot, pas un son, ne lui venait aux lèvres. Elle savait qu’il ne dirait rien. Je savais aussi qu’il ne dirait rien. Il s’était carapaté derrière un silence borné. Et je le connaissais si bien ce visage borné, fermé à toute éventualité, je le connaissais par coeur. Son visage replié, le menton tombant sur le cou, les yeux sur sa propre poitrine, la bouche scellée, il ne la regardait plus. Et ne me regarde pas non plus, ignorant que je suis là où je ne devrais pas être, cachée derrière la porte que je viens d’ouvrir sans bruit. Mais pourquoi suis- je entrée ? Cette porte entre ouverte, je n’ai pas résisté. Elle savait les mots qu’il lui faudrait prononcer pour qu’il se redresse et que dans ses yeux malheureux, une lueur d’espoir s’anime. Elle connaissait exactement les paroles à dire, les gestes à faire, les émotions à montrer, pour que de nouveau, il se sente fort, puissant, en sécurité. Moi aussi, je les connais les mots pour ouvrir, guérir et rassurer. Ces mots que tu n’as pas eu enfant et que rien ou presque ne peut réparer. Elle savait tout cela mais elle ne bougeait pas. Elle se tenait droite, loin de lui, le corps tendu comme prête à bondir. Mais pourquoi moi non plus, je ne bouge pas, je n’ai rien à faire là, ce n’est pas ma vie, pas mon histoire, il faut que je parte, que je referme la porte sans bruit, il est grand maintenant.
Elle regardait son cou replié, ses épaules tombantes, son dos affaissé et elle sentait monter en elle une violence, une colère, une envie fulgurante de le frapper. Je me souviens comment maman ne supportait pas son attitude et qu’excédée, elle le tapait. » Tu ne dis rien ? » Sa propre voix l’avait étonnée, presque blanche, presque neutre, comme la peur de trop parler, de trop hausser la voix, de le foudroyer avec la langue. Il s’était creusé un peu plus, il était tout recroquevillé, presque dégoulinant. Mais redresse toi petit frère, n’aie pas peur, elle t’aime et tu le sais, ne gâche pas tout. Au tout début, elle s’était imaginé qu’il était timide, introverti et elle l’avait prise dans ses bras pour le consoler mais le temps avait passé et elle savait qu’il n’en était rien. Non bien sûr il n’en est rien, mais il y a des blessures qui ne se referment jamais complètement et tu n’y peux rien ma chérie, tu n’y peux rien, sauf patienter et l’aimer. Moi aussi je connais ça, cette fermeture quand je me sens vulnérable. Elle ne céderait pas. Je ne peux pas rester là ! Non je ne peux pas. Comment faire ? J’ai refermé la porte. Et si je reculais à petits pas ? Mais eux, je ne peux pas les laisser comme ça, non je ne peux pas.
» Tu ne dis rien ? » prononcé sans attendre de réponse. Une terreur l’avait envahie quand elle avait parlé, la terreur de la haine qu’elle ressentait. La haine et le dégoût. S’il te plait, ne le hais pas, ne le hais pas, il t’aime et tu le sais, mais il ne sait pas comment dire, comment faire mais s’il te plait, ne le hais pas. Elle le trouvait mou, lâche, souhaitait le faire rouler, le tirer ou le mordre juste pour entendre le son de sa voix crier. Comme à chaque fois pendant longtemps, elle s’était approchée de lui, avait murmuré dans son oreille, avait caressé ses mains, avait mis ses yeux dans les siens et tout le monde y avait cru, je me souviens m’être dit, » ça va, il a trouvé quelqu’un qui peut le comprendre et l’aider à dépasser, à s’accrocher« , mais là rien. Il ne dirait rien elle le savait le connaissait mais ne bougeait pas. S’il te plait, ne le lâche pas ! Il tomberait et ne pourrait se relever sans toi. Bon, allez je me montre et je l’engueule. Non, je ne peux pas, je ne peux pas, ils ne vont pas comprendre, il faut que je m’en aille.
D’une voix douce, il s’est mis à parler. Tu parles ? Mais oui, parle, vas-y frère chéri, parle. Ses mots avaient le goût de l’amour, le goût du pardon, le goût de lui pour elle. Il a dit ce qu’il ne lui avait jamais avoué, il lui a fait entendre ce qu’elle attendait et qu’il n’avait jamais osé lui confier. Les mots sortaient lentement de sa bouche. Il s’était redressé et la regardait. Il parlait comme il ne l’avait jamais fait et maintenant, il était entièrement debout, à lui adresser ses secrets. Mon dieu, mais je ne devrais pas être là, faites moi sortir. Oh mon dieu frérot, c’est si beau, si beau quand tu parles. Elle avait baissé les yeux, n’osait plus le toiser, son corps à elle s’effondrait contre le mur contre lequel elle se tenait. » Tu ne dis rien ? » lui avait-il murmuré, à son tour. Elle se taisait. Mais vas-y imbécile, prend la dans tes bras ! Tu ne vois pas qu’elle n’attend que ça ? Oh ce n’est pas vrai, il faut tout faire ! Non, je ne peux pas, je ne peux pas, je ne bouge pas. Mais il faut que je m’en aille, il faut que je les laisse. Ah voilà, il se penche vers elle. Merde, ils s’embrassent, il faut que je parte, il faut que je parte. Bon, je ne regarde pas. ça va aller, ça va aller, mon frère mon petit frère, tu assures, tu es si beau. Ah ben voilà je vais me mettre à pleurer, non je peux pas pleurer, pas ici mais comment je me tire d’ici moi, comment ?
C’est incroyable comme ça déploie le texte d’origine
Vraiment très beau Clarence, comme dévoiler ce qui était caché, une traduction par ce personnage proche, sœur (?), et la fin parfaite comment je me tire d’ici…Merci.