#anthologie #29  | l ‘invité

J’étais assise sur la terre, et des petits cailloux me faisaient, non ne me faisaient pas tout à fait mal mais     mon esprit divaguait à partir de ce que disaient ces voix qui s’interrogeaient sur mon avenir,

… il regardait le vallon sous le jardin et ses jambes frémissaient d’envie. 

Il fallait pourtant bien qu’il reste là, invité par surprise que l’on devait convoyer vers la gare. 

Le cercle aimable lui faisait la grâce de l’oublier, de le laisser savourer la paix et l’espace d’ombre ménagé au sein de ce pré ensoleillé.

une voix, celle de cette femme qui m’était seconde mère, qui pensait qu’elle me connaissait, qu’elle était seule pour cela, et comme elle le disait je choisissais de croire que c’était sans doute vrai, a parlé de l’Ecole des Chartes,

la voix plus familière, celle que les étrangers confondaient avec la mienne, et moi je ne comprenais pas comment ils le pouvaient, a répondu en hésitant que je n’avais pas fait de grec et dans son timbre j’ai senti le reproche, oui bien entendu c’était ma faute, c’était parce que je n’aimais pas la nonne chargée du latin en troisième et que pendant un an j’avais rendu des copies blanches ou qui ne valaient guère mieux que je n’en avais pas été jugée digne, mais peut-être a ajouté la voix l’Ecole du Louvre,

et là mon oreille a frémi, enfin pas mon oreille mais le coin du cerveau qui les entendait, l’aimais le Louvre, aimais chacun des moments où j’avais pu y trainer ma liberté et mes yeux et me suis perdue dans un mélange de vases grecs ceux à fond noir et puis leurs contraires, et les formes, et le grand corps blanc sur les genoux d’une vierge comme une géométrie, et un gant peint et,

j’ai pensé érudition, et tout mon corps en a tremblé sans que ça se voit,

… il regardait le vallon sous le jardin, il s’ennuyait un peu ou plutôt cette molle conversation d’après déjeuner qui ne le concernait pas l’ennuyait.

Il fallait pourtant bien qu’il reste là, et que parfois il entende et que sa bouche invisible dans l’ombre se torde un peu de sympathie parfois sans que l’in sache envers qui.

Le cercle aimable, trop protecteur des adultes lui faisait oublier qu’il en était un mais il ne pouvait réagir, par courtoisie et parce qu’il n’était pas encore temps de rappeler qu’il était là, lui, l’ami dont on avait attendu conseil et qu’il lui fallait une auto et un chauffeur dévoué.

j’ai levé la tête et j’ai dit je veux être architecte,

même les cailloux se sont tenus tranquilles comme les fourmis qui traversaient mon coin de terre, il y avait juste une branche qui remuait contre un parasol et le silence soudain, qui a duré,

… il regardait le vallon sous le jardin, il lui trouvait tant de charme, celui d’une marche solitaire entre deux attentes, dans le jardin et sur les banquettes surchauffées de la micheline.

Il fallait pourtant bien qu’il reste là, discret mais visible comme un rappel de ce départ qui lui était promis.

Le cercle aimable l’avait-il oublié ? Il le souhaitait et le craignait un peu, rassuré par de petits attentions de la vieille femme, la maîtresse de maison qui lui souriait en lui montrant la cafetière et sur son hochement de tête refusant envoyait une des fillettes reprendre sa tasse puis un peu plus tard veillait à ce qu’il soit bien inclus  dans la circulation d’une assiette de cerises, de croquants et de navettes.

non qui n’a pas duré vraiment, rien ne peut interrompre longtemps une conversation d’après-midi d’été sous un parasol, il y a eu une interrogation, un pourquoi qui signifiait que c’était insensé, 

je ne sais pas dit mon cerveau et ma bouche baille comme celle d’un mérou surpris dans sa cache, une réponse se cherche mais avant que les mots ne viennent parce que votre Bernard le tente dit la voix qui est presque mienne, j’ai posé une brindille en travers du chemin des fourmis en refusant de rougir, 

je savais que ce n’était pas cela qui avait parlé en moi ou pas complètement, pas vraiment,  la voix d’homme a répondu que Bernard avait fait math élem  alors que ce qu’on fêtait, une idée idiote on ne fêtait rien, c’était mon succès en philo,

on fêtera ça plus tard ma chérie, a dit la femme, j’ai relevé la tête et j’ai grimacé un sourire, elle a continué par une interrogation qui appelait un non est-ce que c’est important les maths pour être architecte à laquelle deux voix masculines ont répondu que oui,

… il regardait le vallon sous le jardin, il ne le voyait plus guère, il écoutait, plein du désir d’entendre rappeler la proximité de l’horaire de son train, et il s’est appliqué à ne montrer aucune opinion.

j’ai appuyé ma main sur les cailloux, me suis promis que je leur prouverai leur tort, que bien sûr c’était sans doute important les maths mais que moi je n’avais qu’à vouloir apprendre et puis que ceux qui avaient créé les absides à chapelles rayonnantes d’Auvergne ou la géométrie du clocher et du cloître contre le ciel et la forêt au Thoronet n’avaient certainement pas leur bac, 

ils expliquaient pourquoi, elle a posé une question sur  les voitures choisies pour la soirée chez les X,

je me suis levée, je suis rentrée dans la fraîcheur de la maison, je savais qu’elle gagnerait.

… il regardait le vallon sous le jardin, il a tourné la tête en souriant vers la voix qui annonçait que malheureusement leur ami devait partir. Il a fallu qu’il exprime ses regrets, qu’il salue chaque membre du cercle aimable, et il est parti vers la voiture à la suite du jeune-homme, sentant que tous deux, intérieurement, piaffaient joyeusement comme de jeunes poulains sortant de l’écurie.

Note : texte d’origine – #09 | j’ai dit

A propos de Brigitte Célérier

une des légendes du blog au quotidien, nous sommes très honorés de sa présence ici – à suivre notamment, dans sa ville d'Avignon, au moment du festival... voir son blog, s'abonner, commenter : Paumée.

5 commentaires à propos de “#anthologie #29  | l ‘invité”

  1. Votre texte est magnifique Brigitte et cette phrase je veux être architecte qui crée un silence, un suspens dans cette discussion nonchalante d’après déjeuner. Cette phrase qui marque une volonté, un rêve et nous rend visible ce personnage qui s’affirme. Et lui, ces effleurements de lui, j’aime. Merci beaucoup et à bientôt.

    • oh que c’est gentil… je crois que vais tenter le 30 (le 31 un peu bétassou est fait) même s’il est trop tard… maos si dissemblables sont ces fragents, à part deux petit groupes, et puis plusieurs que je mettrais bien à la poubelle.

  2. J’aime beaucoup votre texte si vivant, si sensuel. La présence de ce témoin muet rend votre prise de parole plus dense, plus grave dans cette forme d’indifférence des conversations d’adultes un peu convenues.

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