#anthologie #29 | être, peut-être…

… et toujours ils s’enchaînaient les uns aux autres dans ce monde de jadis. Ils étaient tous semblables et te voulaient comme eux. Il fallait faire semblant

Enfin ils sont partis. Ils étaient tous à crier et parler à tort et à travers. À faire des blagues qui ne font rire qu’eux, à se pavaner et à se moquer. Je ne suis pas comme eux. Cette vie en meute ne me convient pas. Ils écrasent tout sur leur passage, les fleurs les herbes et moi.

… et toujours à se moquer. Il ne fallait jamais parler de soi. Quand tout brûlait autour, tu n’avais pas le choix

J’aime regarder tout autour, ces petites choses que les autres ne voient pas, les insectes qui se faufilent entre les feuilles, le balancement des branches souples des arbres du jardin, l’eau du ruisseau avec ses changements de couleurs, et tous ces petits bruits qui n’existent plus, lorsqu’ils sont tous là.

…et toujours à faire semblant de sourire pour ne pas mourir, il fallait faire semblant de parler leur langue, tu as essayé, il faudra essayer encore

C’est tout cela que j’aime sentir couler en moi, cela vrille, cela devient fibre dans mon corps. Lorsque les autres enfants s’ébrouent tout autour, tout se désagrège, leurs secousses me déséquilibrent, leurs cris m’oppressent, je retourne mes yeux vers l’intérieur pour ne plus les voir, et pour ne pas me perdre.

…et toujours, tu verras, tu seras ainsi, il te faudra encore et encore t’extraire de leurs ailes de plomb, il faudra espérer qu’une brise t’enlève et te porte dans ces ailleurs où tu peux exister

Lorsque je suis seul, je me sens grand, j’éprouve un sentiment d’existence qui s’effrite dès qu’ils arrivent. J’aime à rester adossé à un tronc d’arbre, m’enivrer de l’odeur qui monte de la terre, ou du chant des oiseaux qui se racontent leur vie, ou près d’une taupinière à espérer les petits jets de terre que la taupe en-dessous fait jaillir, attendre sa venue qui ne vient pas, mais me tenir près d’elle en silence.

…et toujours, comme un oiseau qui vient de se heurter à une vitre, tu ne sauras plus qui tu es, au cœur des jours d’insomnie, avide et incapable d’avancer, toujours à cacher tes blessures, il faudra apprendre à vivre avec

Alors, à la sortie de l’école, je cherche à me cacher derrière un arbre ou des buissons. Je me fais buisson. Je me fais arbre et mes racines s’enfoncent dans la terre. Je suis couvert d’un feuillage vert qui me dissimule aux yeux de tous les autres. J’attends qu’ils s’éloignent et je prends le temps de respirer et de rêver. Je suis invisible. Derrière une haie, recroquevillé. Et que personne ne me trouve.

… et toujours et encore cela murmurera entre tes tempes, cela criera pour sortir, et les cris ne sortiront pas, ils s’enliseront et laisseront une lie en toi, il faudra apprendre à tituber entre eux tous et entre les toi qui te hantent

Il ne faut pas bouger. Est-ce cela faire le mort ? Se cacher toujours pour pouvoir respirer. Dissimuler ce que l’on est, ne rien donner à percevoir, devenir flou pour le regard de l’autre, gommer tout ce qui pourrait me mettre en péril ? Devenir taupe, est-ce vraiment un avenir ? et pourtant, c’est bien ainsi que je me sens heureux, à errer dans des recoins solitaires.

… et toujours à te poser des questions, de celles dont on ne trouve pas les réponses, de celles qui hantent jusqu’à la fin des jours, il faudra composer aussi avec ça

Je suis comme ce papillon, échoué ce matin sur le bord de la fenêtre aux ailes rognées, incapable de voler dans le jour mutilé. Autour de lui, plus rien n’a de contour, plus rien n’existe que son incapacité à être, malgré le désir qu’il peut avoir. Je me suis coupé les ailes.

…et toujours et encore tu seras ainsi à piétiner ta terre, sans oser poser un orteil sur le sable des autres, à déplier tes ailes entre les murs de ton antre, à les replier avec douleur, il faudra bien t’habituer

Hier encore je suis resté prostré devant une flaque d’eau, à ne pas savoir s’il fallait la contourner par la droite ou plutôt par la gauche, et une petite voix me disait de prendre mon élan et de sauter, alors qu’une autre voix en ricanant me disait de marcher tout bêtement dedans et de ne me soucier de rien d’autre. Et je suis resté là des minutes durant, à espérer sans doute que la flaque s’assèche. Je suis tant de personnes en moi et je ne sais laquelle écouter.

… et toujours les incertitudes te recouvriront, il faudra apprendre à vivre avec le doute, mais un homme qui doute est un homme qui cherche à se grandir, et tu verras ton regard s’éclaircira, et les mots s’apaiseront en toi, tu sauras les trouver et les dire au moment qu’il conviendra

Est-ce qu’un moi, un vrai moi existe? Est-ce que j’ai un moi supposé et un moi réel ? Est-ce un moi apparent et un moi d’emprunt ? Comment les distinguer ?

…et toujours ces questions feront de toi un homme réfléchi, il faudra juste s’habituer à louvoyer entre elles, tu es plusieurs et riche de tous ces fantômes qui te hantent, tu accueilles des milliers de gouttes en ton esprit, parfois l’une tombe, parfois c’est une autre, et c’est toujours un peu de toi qui s’abandonne, il faudra te créer au jour le jour, et sentir le fil de toi qui s’allonge, ces filaments qui se déplient, se déploient et te relient au monde qui te fait si peur

Enfin je n’entends plus les autres, ils se sont éloignés sur le chemin. La nature m’appartient. Je pose mes doigts sur des troncs d’arbres, je parle aux coccinelles, j’écoute le vent, je respire, je vis. J’écoute chaque phrase chantée par les oiseaux, j’apprends à les reconnaître. Je ne sais pas pourquoi ils chantent, mais je crois bien qu’ils me parlent. Il me semble que je pense. Je suis au milieu des choses, encerclé dans un tout, absolument seul, infiniment seul. Je suis.

J’ai repris le texte de la proposition 6 en l’amplifiant et en insérant le travail du jour

A propos de Solange Vissac

Entre campagne et ville, entre deux livres où se perdre, entre des textes qui s'écrivent et des photos qui se capturent... toujours un peu cachée... me dévoilant un peu sur mon blog jardin d'ombres.

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