#anthologie #28 | œuvres

Ouvrir porte et fenêtres pour faire courant d’air et alléger la tiédeur moite du dortoir. Au plafond un mobile réalisé à partir de fonds de bouteilles en plastique aux rebords découpés en lanières, ouverts comme des soleils bringuebale au bout d’une ficelle. Les enfants y ont collé de minuscules boulettes de crépon multicolores. La lumière qui glisse entre les rideaux projette au plafond et sur les murs des tâches blanches et colorées qui dansent.

Ils viennent de loin pour voir la statue de Notre-Dame de France, une vierge à l’enfant peinte en rouge créée au 19ème siècle à partir des 213 canons pris aux russes par Napoléon. On peut escalader son corps, regarder le monde par de petites ouvertures découpées dans les plis de sa robe. Par la fenêtre de la maison de La Roche-Arnaud l’enfant observe les têtes minuscules qui apparaissent et disparaissent de la couronne. Elle préfère la mer. 

La photo du port industriel de Barcelone prise du haut de Monjuic quand la nuit tombe, que les enfants courent entre les pins, que les voix enflent, rient, s’interpellent tandis que la ronde des avions atterrissant en bord de mer est sans fin, un amas de métal, de grues, un fracas, une merveille graphique.

La peinture représente un olivier en Grèce. Le tableau est accroché à droite de la porte d’entrée sur un mur recouvert d’une tapisserie fanée. Il est encadré de perles d’ambre enfilées sur un tressage de fils d’argent. Qui fait œuvre ici ? le cadre ? la peinture ? Tout converge, la chaleur des perles, l’écrasement de la lumière sur les herbes sèches roussies autour de l’arbre. Les feuilles de l’olivier dessinent des taches vert argent, on dirait qu’elles bougent tandis que les cigales chantent loin des volets fermés de la maison froide, désertée.

La douille en cuivre sculptée est posée au centre du buffet laqué noir acheté à crédit. Elle reflète la lumière du soir. Quelques fleurs glissées dedans comme dans un vase ont fané . Au cul de la douille un poinçon, marque de reconnaissance qui indique l’usine d’armement qui l’a fabriquée. C’est l’usine de La Bonneville sur Itton. La douille est partie de là-bas d’accord mais où est-elle allée ? Combien de personnes a-t-elle pu tuer avant d’atterrir sur le buffet de la salle à manger d’un appartement de banlieue parisienne.

Quand la nuit tombe la sculpture de la petite fille  en terre à la tête penchée posée sur la coiffeuse aux tiroirs orange et rose disparaît. Quand le jour se lève elle renaît. C’est ainsi de jour en jour. Chaque matin je lui souris. 

A propos de Françoise Guillaumond

Ecrivain, directrice artistique de la compagnie La baleine-cargo sur Wikipedia, ou directement sur la baleine cargo.

6 commentaires à propos de “#anthologie #28 | œuvres”

  1. Délicat quand l’enfance est présente et pourtant le reste est là: guerres, vide, métal, par petites touches sûres et certaines. Merci pour ce(s) texte(s).

  2. quelles magnifiques petites promenades (oui, j’ai vécu ces fragments comme des promenades… tes descriptions sont fines et nous racontent les couleurs )
    et ça finit par un sourire…

  3. La vierge rouge qui se visite. La douille à fleurs . Le visage en terre penché qui renaît… doux mais pas que . Beaucoup aimé Merci