#anthologie #28 | de hasard, ou bien

avancer. Frapper se demander: Ouvrir avec sa clé. Entrer. Balayer du regard : lit recouvert, rideaux tirés, plateau sous la fenêtre ; il y a ou il n’y a pas plateau, ils prennent ou pas le petit déjeuner dans la chambre, le plateau c’est du temps en plus, c’est du temps en moins : décompter; ne pas s’arrêter sur un détail, ne pas s’arrêter. Respecter le cadence : Du placard ouvert de la chambre douze sort une voix, violon et du violoncelle en fond, un quatuor peut-être. La voix ne parle pas normalement, je veux dire pas comme dans une conversation courante, on dirait qu’elle joue; pour autant elle ne chante pas ; on dirait qu’elle jongle avec les phrases et les mots d’une texture peu habituelle, et des sonorités se répètent. ( un jour avec mon père, nous écoutions la radio, il avait dit : là, tu entends bien que ça parle « littéraire » pas comme moi qui te parle à présent…) C’est ça je me dis, la voix qui sort du placard ouvert parle : « littéraire »; j’entends des bois et des plaines; je reconnais des loups. Sur l’étagère du placard ouvert la galette noire d’un disque tourne

À l’exception de la table, aucun meuble, à l’exception de la tasse et du crayon, aucun objet ; sous la table une pomme pourrit : mur de gauche, tout le papier arraché, restent des lambeaux, des fils pendent, des cheveux on dirait, pris dans le plâtre, dans le plâtre du mur et il y a un trou de la taille d’une pièce de monnaie; impossible de plaquer mon œil contre le trou pour voir derrière sans risquer de me brûler la rétine : du trou sort de la lumière, comme d’une cabine de projection, un faisceau puissant ; je me retourne, je vois mon ombre projetée sur l’autre mur, je me vois ombre, il semble que je porte un chapeau ou c’est le contour très lisible d’une protubérance crânienne, j’évite de penser à une tumeur; et elle bouge les bras, l’ombre je veux dire, on dirait qu’elle me salue : je me regarde et je la vois sortir

bon, mais le regardant dans l’oreille et m’imaginant le relever et le prendre dans mes bras je me disais : tout de même une fois que tu l’auras relevé tu en feras quoi. Tu as la force de le relever tu le crois et c’est possible mais tu en feras quoi une fois dans tes bras. Peut-être qu’il faudrait le trainer plus loin, je pensais, du moins le déplacer parce qu’ici il est exposé je pensais. Au monde même, je pensais en le regardant dans l’oreille. Je m’imaginais l’avoir relevé et le maintenir avec mes bras sous ses bras, contre moi mais il pivote sur le sol et dans le même mouvement, comme glissant détaché de la pesanteur il se retrouve sur ses pieds sans que je comprenne comment il a fait; ses jambes sont nues, roses de ce rose pâle des roses anciennes, il est chaussé de pointes comme sont les danseuses à l’Opéra ; juchés sur ses chaussons, genoux légèrement fléchis il ouvre les bras vers moi, il a de longues mains, des doigts déliés, il me regarde cependant je ne peux pas voir son visage : c’est lui qui me soulève et nous dansons un pas de deux; des piétons jettent des pièces

Quand j’ai vu Le lit défait de Delacroix, j’ai pensé que c’était le portrait en creux d’un dormeur. La salle du musée est maintenue dans une obscurité relative, sous le tableau représentant le lit il y a la chaise du gardien, elle est surmontée d’un petit cartel qui invite à s’asseoir ; on peut, dit le texte, c’est même recommandé s’abandonner au sommeil, où à la somnolence; il est également fortement recommandé de se déchausser une boite à droite de la chaise est prévue à cet effet – les insomniaques ne sont pas autorisés à s’assoir : une caméra enregistre

« Je m’en vais dans ma cuisine, trois mètres sur trois mètres sur trois mètres, attendre quil me siffle. … Ce sont de jolies dimensions » au mur jardin de la cuisine il y a un cadre vide, trente centimètres sur trente environ, de couleur sombre, mouluré et vernis, façon petit tableau de maître : classique donc. Le cadre est accroché à environ un mètre cinquante-cinq du sol ; si c’était un miroir on pourrait, pourvu qu’on soit de taille standard, s’y regarder pleine face sans avoir à se contorsionner. Un cadre vide : façon de parler puisque le cadre cadre le mur. C’est un cadre vide avec un mur derrière : un tableau de mur en quelque sorte

la cinquième ( la sixième déguisée en cinq…) est une chose si ténue qu’on peine à la décrire – La vitesse avec laquelle la lumière remontait; j’avais éteint la lampe, mais, à cause de l’écran de l’ordinateur allumé, je ne pouvais échapper à mon reflet; derrière le vitre quelque chose tremblait, était-ce mon reflet ou le feuillage qui tamisait la vue en plongée sur la baie; était-ce ma peur de voir venir le jour sans avoir su d’où elle venait; sur la vitre les poussières et les traces de pluie accumulées poudroyaient, le soleil se levait orange et rose – sur l’écran de l’ordinateur il y a ce film sans images et sans son, j’en perçois la tension et j’en éprouve la durée ; ce sont des images violentes de guerre, lavées, ou comme passées au blanc, le son n’est qu’un bruit blanc; vient ce plan de mer, comme la mer au loin dans la baie devant moi, cependant sans mer, ni baie où un bateau s’enfonce avec ses cris ; ce sont des images d’actualités récentes, aveugles et blanches,

A propos de Nathalie Holt

voilà ! ou pas

9 commentaires à propos de “#anthologie #28 | de hasard, ou bien”

  1. là, tu entends bien que ça parle « littéraire » pas comme moi qui te parle à présent…J’aime tellement cette phrase et d’autres également, le corps qui devient danseur, celles parlant des dormeurs, merci pour ces intrusions dans les histoires qui ne font qu’y ajouter de la poésie et de la beauté. Merci Nathalie.

    • Merci Clarence tout s’enchaîne si vite dans ces 40 jours que certains jours on flippe ferme tes mots font du bien ( bises )

  2. Tout fait œuvre au moindre détail, une voix une ombre un pas de danse « un tableau de mur en quelque sorte » des images aveugles, c’est très fort et très puissant. Merci Nathalie

  3. pas de hasard. Tous ces fragments d’être là sont émotions poétiques et belles. Mais pas que. Toujours dans l’ être lâ une subtile et farouche manière de nous conduire plus loin, après le particulier, au delà du particulier fragment. « un cadre vide avec un mur derrière : un tableau de mur en quelque sorte ». Merci Nathalie.

  4. très onirique en tout cas – j’aime bien le tourne-disque dans le placard, quelque chose de l’enfance sûrement (très joli, merci)

    • le tourne disque du placard chez eux il y en avait un, tu as une mémoire incroyable ( pas dans la chambre du Sénéchal) . Merci Piero

  5. Faufilements qui donnent sur un ailleurs qui parfois n’est qu’un mur, mais quel mur !, et tout un monde est créé comme si l’on allait, grâce à toi, épier de l’autre côté. Merci Nathalie !