Ecouter de la musique aussi, très fort, dans sa voiture qui frôle parfois les 140 km/h. Elle a sélectionné du Jazz, du jazz vocal, Anita O’Day, pour calmer sa tempête intérieur, pour glisser délicieusement sur l’autoroute, Whisper Not, elle le remet en boucle.
Chez S. où elle prend l’habitude de venir souvent boire un verre et parler des heures, découvrir sa vie et celle de son père, elle est toujours frappée dans l’entrée, en face de la porte recouverte d’un miroir, par un tableau, le portrait de son fils enfant. Un garçon pensif, le regard vers le bas, dans les tons crème, marron, beige, il semble léger, irréel. On ne voit pas ses mains.
Mon père, un artiste contrarié, certainement. Il avait beaucoup d’oreille mais ne savait pas déchiffrer. Il nous faisait rire quand il jouait de la scie musicale. Je l’admirais quand il retrouvait d’oreille des valses de Chopin sur le vieux piano droit, ou des balades irlandaises.
# 11. Faut pas que je la loupe
Au début de leur relation, ils sortaient dès que possible dans des galeries, musées, expo à la recherche d’une œuvre qui les saisirait ensemble. Ils adoraient l’art contemporain et pourtant un matin au musée d’Orsay, ils étaient restés 10 minutes sans voix, à contempler Le bal du Moulin de la Galette de Renoir. Peut-être pour cette époque d’insouciance perdue, peut-être pour les touches de lumière, la gaité, l’ambiance, le peuple de Paris pris sur le vif à boire et à danser.
S’asseoir sur le petit tabouret comme quand j’étais enfant dans l’atelier de peinture de ma grand-mère, s’y retrouver au présent en allumant un bâton d’encens au jasmin. La revoir avec un foulard sur la tête, revêtue de sa blouse, le pinceau tendu vers la toile, sa grande palette où elle mélangeait les couleurs sur les genoux. Elle allait terminer sa dernière toile, Léda et le Cygne, mais elle voulait être seule dans son atelier, elle me mettait dehors avec un grand rire, je quittais la toile des yeux avec regret et retournais jouer dans le jardin.