#anthologie #28 | cinq à classer

Jamais personne, dit-on, n’aura vu le geste, l’homme a quitté cette dimension de l’existence, le peintre ne lacérera plus aucune de ses toiles, le cutter dans sa main ne rendra plus jamais cet effet poignardé de vie suspendue, de temps à jamais immédiat, de capture à l’instant du geste. Ce que dégage une toile de Fontana car nos corps ont vécu l’entaille au plus profond, dépasse l’alignement de quelques mots. A la première vision, je m’assois, le malaise à fleur de bouche. Elle tire sur sa robe.

Dans des salles peu éclairées pour mieux les préserver, des tableaux de la taille d’un corps, longs et larges, des toiles presque vides, blanches, écrues ou noires, seules quelques traces ou des empreintes. Crayons à papier, crayons de couleurs, des glyphes cachées, superposées, d’une grande écriture penchée, mots répétés ou seulement des suites de lettres, entre effacements et réapparitions. Et d’autres traces de matière méconnaissables, étirées, essuyées. Elle dit Du sang ou du vin. Elle dit Du sperme. J’en retiens l’écume, le brouillard de couleur écrasée. Elle relève ses cheveux, et les attache.

Celle qu’on a perdue, celle qui cherche, le corps de la danseuse est-il une celui d’une âme ou d’une innocence, la musique de Philippe Glass la pousse au tournoiement, à la rupture, à la reprise, contradictoire et forte. Le rituel se diffuse aux corps des quatre autres danseuses, cinq femmes sur la scène, mais femmes et danseuses sont-elles d’une même essence ? Un échange de tendresse explose dans une violence crescendo. Parfois c’est une tarentelle de mille ans qui les met en transe. Dans la salle, c’est une initiation, nos corps sont traversés de frissons, ce soir-là elle prend ma main et y pose ses lèvres. 

Paolo est une trompette, l’air traverse son corps, sa bouche le transmue et le cornet de cuivre le rend telle une voix, un souffle, un ciel, une vague de chair invisible, l’incarnation d’un sonore doux et sculpté d’attention. Le dialogue entre son corps et son l’instrument rejoue à chaque note, chaque improvisation ou reprise du thème l’échange d’énergie, d’abandon ou de réticence qui offre la musique, dans le ciel d’un automne radieux, aux pins baignés de lumière artificielle qui nous en font l’écho. Sur la trompette, le corps de l’homme plié en deux, les bras noués et la bouche invisible, offerte au métal forgé, à la présence du diable, sont une étrange bête, primitive, sauvage, seule.

On se heurte à une figurine immense, une femme de plâtre et de dentelle, elle est démesurée, certains dirait grotesque, sa robe s’évase, s’élargit, chaque surface est emmêlée de poupées minuscules, de morceau de Barbie méconnaissables, de pièces de porcelaines, de dînettes, elles sont la matière même de la robe, noyée de plâtre, sculptée des mains brûlées de Nicki, dans l’effort du souffle des poumons brûlés de Nicki, nos yeux brûlés en retour de sa rage dépassée, hold-up sur l’art. Devant la blancheur de la robe, il y a l’écho des coups de carabine, la décision révélée de coulures explosives, peintures liquides dans des poches dissimulées sous le plâtre, crevées de plomb, frontons qui s’effondrent, détails ornementaux brisés, symbols de pouvoir bafoués, prise de pouvoir brûlés de couleurs, geste iconoclaste qui souille ou sublime, juste retour sur l’accaparement, Nicki en grave la trajectoire pénétrante par l’action de son index à jamais sur la gâchette.

A propos de Catherine Serre

CATHERINE SERRE – écrit depuis longtemps et n'importe où, des mots au son et à la vidéo, une langue rythmée et imprégnée du sonore, tentative de vivre dans ce monde désarticulé, elle publie régulièrement en revue papier et web, les lit et les remercie d'exister, réalise des poèmactions aussi souvent que nécessaire, des expoèmes alliant art visuel et mots, pour Fiestival Maelström, lance Entremet, chronique vidéo pour Faim ! festival de poésie en ligne. BLog : (en recreation - de retour en janvier ) Youtube : https://www.youtube.com/channel/UCZe5OM9jhVEKLYJd4cQqbxQ

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