UNE FEMME ARRIVE DANS L’ILE pour la garder. Recrutée sur concours, elle a été jugée forte et persévérante, « domine largement les candidats masculins ». Elle n’a pas quarante ans, grande musclée et souriante, elle n’est pas vraiment belle, solide et avenante. Célibataire avec une expérience de plusieurs années. Sa mission consiste à préserver la biodiversité de l’ile et tout particulièrement d’assurer la tranquillité des oiseaux en période de nidification jusqu’à l’envol des juvéniles. C’est un contrat temporaire 5 mois, peut-être 6 selon les années. Elle doit aussi accueillir et renseigner les visiteurs qui pourraient aborder par hasard ou goût de la nature. Les visiteurs de hasard sont reconduits avec bienveillance. Il faut beaucoup de doigté à ce poste. Des groupes d’ornithologues, de photographes ou d’herpétologues (les serpents adorent les œufs de l’espèce protégée) dûment munis d’une autorisation signée du parc sont aussi admis et guidés vers les observatoires aménagés. Pourvu qu’ils respectent les consignes, tout se passe bien.
Les journées et les nuits se passent la plupart du temps en surveillance à la jumelle de la mer et des bateaux qui pourraient accoster et de la zone des nids. Le moindre intrus est signalé par les cris des oiseaux. Il faut alors se rendre sur place à pied ou en vélo pour comprendre de quoi il s’agit. La femme dispose d’un pouvoir de police environnementale au cas où l’intrus serait un maraudeur humain. Pour le reste, on laisse faire la nature et les oiseaux se défendre contre leurs prédateurs. C’est plutôt efficace, le seul ennemi c’est l’homme.
La femme ne sait pas expliquer ce qui lui plaît dans ce travail. Le visionnage d’une interview réalisée à sa prise de poste par France 3 n’en apprend pas beaucoup. « Je sais pas. La nature, les animaux, la nuit, la mer, ça me plaît, je sais que je suis à ma place » sur cette vidéo, on voit furtivement son compagnon, barbu, peau tannée par le soleil, mais il n’est pas présenté et le journaliste ne lui pose pas de question.
Les deux premiers mois sont tranquilles : construction des nids, ponte , couvaison. C’est à la naissance des petits que les choses se compliquent et que les visiteurs commencent à être nombreux, surtout les jours de beau temps et de belle lumière.
La femme et son compagnon vivent dans une cabane assez sommairement aménagée dans une roulotte de chantier. Leur ravitaillement en eau et nourriture se fait une fois par semaine par bateau comme l’enlèvement des déchets et des eaux grises.
C’est par une nuit sans lune que le drame s’installe. Il se passe quelque chose, les oiseaux frémissent et s’agitent, les caméras infrarouges de surveillance confirment une intrusion. Un individu, pas un animal. Il faut aller voir. C’est lui, le compagnon qui met la main sur l’intrus, le reconduit à son canot et le verbalise. C’est la femme qui signe.
Verbalisation contestée, car réalisée par une personne non détentrice de l’autorité, qui va conduire la femme devant la justice, puis à perdre son poste (pour renseignements erronés fournis sur le dossier de candidature). Elle refusera d’aller devant les prud’hommes pour licenciement abusif. Elle a retrouvé un emploi en Guyane. Là, les contrebandiers de faune sauvage sont armés, mais elle le sera aussi (précaution contre les orpailleurs).
3 commentaires à propos de “#anthologie #27 | Une femme arrive dans l’Île”
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(dura lex sed lex) (un peu écœurant mais on apprend, on encaisse, on comprend) bien belle (ou laide) histoire (ceux – c’est à ne pas douter des hommes – qui l’ont licenciée sont des abrutis)
Merci Piero, j adore qd tu prends partie dans le commentaire ? Ça veut dire que tu crois à l histoire ?
j’aime y croire… merci à toi