anthologie #27 | trois débuts (autrement dit, fins)

Elle a hérité de la maison de ses parents. Sa mère le lui a toujours dit, tout de cette maison sera à toi, jusqu’à sa moindre poussière. La famille est prévenue, meubles tapis plantes… tout. Elle a toujours entendu chanter les mots de sa mère, comme histoires racontées. Elle les écoute mais corps absent. Ne se sent paradoxalement pas concernée, alors que prise par sa parole. Elle pense avoir compris, un héritage quoi de plus classique. Il suffit de tourner une clef, de rentrer en répétant, cette maison est à moi, jusqu’à sa moindre poussière. Mais quelle clef pour quelle serrure et va-t-elle se souvenir sans étiquette ? Elle rentre de l’étranger dans un appartement vide d’humain, pour la première fois vide. Elle pense avoir compris, un héritage. Comme elle pense connaître les raisons de son départ du pays. Elle pense avoir décidé son départ. Elle pense être partie. Aujourd’hui elle rentre mais à l’étranger, ce chez sa mère sans sa mère.
04 | en sens opposés
08 | qui parle à son corps
09 | un jour comme un autre
23 | encore plus bas ces mots

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Elle ne comprend pas la mort de sa mère. Elle fait semblant. Elle a fait comme eux, elle a pleuré, elle a trié les affaires, elle a accroché des photos. Elle fait semblant d’accepter, on meurt c’est comme ça, sa mère le lui disait : on y va tous, les uns après les autres, c’est une question de temps, c’est tout. Elle sait que sa mère est morte, ne cherche plus à la joindre les samedis matin, ne planifie pas de voyage retour. Mais elle parle d’elle au présent. Personne ne relève ce lapsus qui la trahirait si elle ne riait pas si parfaitement. Personne ne sait qu’elle écrit. Sur sa mère comme autour des mirages. En vrac. Et plus les textes s’amoncellent, plus elle craint d’arrêter, de tuer cette mère en arrêtant de l’écrire.
02 | elle aurait ces gestes
06 | lente de nuit
07 | lampe et silence
20 | trouble
21 | l’annoter
25 | simple comme ça
26 | comme aveugle

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Aujourd’hui il lui a demandé ses souvenirs. Qu’avez-vous connu vécu pendant la guerre ? Aujourd’hui le silence des images impossibles, dix ans de guerre pourtant. Il ne lui reste que des bruits, tellement de bruits que vie et sensations s’estompent à la seconde de la question. Et la seule certitude, si elle écrit autant sur la guerre, c’est parce qu’elle n’en sait rien. Plus de dix ans d’étourdissement complet. Il lui arrive de regretter être partie, coupable de ne pas avoir vécu les quinze années comme eux (les cinq dernières de loin). Cette obsession, écrire la nécessité de dire cette guerre absente des manuels. Cette guerre fantôme. Qu’aurait-elle à en dire si elle n’en sait rien.
04 | en sens opposés
19 | paradoxe du trop familier
23 | encore plus bas ces mots

A propos de Gracia Bejjani

Gracia Bejjani est née à Beyrouth. Elle a quitté son pays à vingt ans, elle a fugué, n’a jamais quitté. Elle dit : « J’écris, je filme, photographie. J’écris ». Elle est auteur du recueil J’ai appris à parler sur tes lèvres (La Kainfristanaise). Ses textes sont publiés par de nombreuses revues comme la NRF Gallimard, l’anthologie 2024 du Printemps des poètes (Castor Astral), Décharge, Wam, Lettres d’hivernage, Radicale… et en ligne par le Courrier International, Plume Francophone, Hors-Sol, Poema… Elle a été programmée au Festival Extra Litteratube à Beaubourg, à la Maison de la Poésie de Paris et au Festival international de Poésie de Roulers (Belgique). Elle tient également une chronique dans la rubrique « culture » d’Ici Beyrouth. Sa chaîne YouTube, régulièrement alimentée par de nouvelles créations, regroupe à ce jour près de sept cents vidéos-poèmes. – Site : https://graciabejjani.fr/ – Chaîne : https://www.youtube.com/c/graciabejjani

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