#anthologie #27 | Trois débuts

1 – Un homme, vêtu d’un blue-jean, d’une chemise blanche, chaussé de mocassins, vient de descendre d’un taxi. Il retient par l’index replié de sa main droite son blouson de cuir rejeté sur l’épaule. Au bout de son bras gauche un sac de voyage, qui en a tant vu. L’homme, que tout Chinatown de New-York appelle Gattopardo en raison de son allure féline et de son regard perçant, c’est Etienne Blanchard. À l’invitation de son grand-père, il revient dans sa famille après quinze ans d’absence. Car, comme tous les premiers dimanches d’octobre, Augustin Blanchard a convié sa nombreuse descendance dans sa propriété quercynoise : un ancien domaine viticole. Etienne souhaite arriver à pied à La Maison, comme il en est parti, jadis, avec le même sac de voyage, banni par ses grand-parents. Il parcourt la rue du village, reconnaissant et notant les changements intervenus sans qu’il en ait eu connaissance. Ah ! s’il pouvait effacer ces quinze années d’exil ! Le cœur gonflé de joie et d’appréhension, il marche dans la rue de son village. Des rideaux soulevés, des visages curieux contre les vitres, c’est sûr on le reconnaît. Et on cause. Il ne sait pas si cela lui fait plaisir ou non. Il allonge sa foulée, baisse la tête, l’air de celui qui, perdu dans ses pensées ne veut pas être dérangé. D’ailleurs c’est le cas. Que lui veut son grand-père ? Et surtout Rosalie sera-t-elle parmi les invités ? 

Cf # 24 Quand Rosalie dort

# 25 Les bruits et les voix de la culpabilité

# 23 Sous les cabinets

 #22 Mon village-rue

2 – L’homme qui est assis sur la dernière marche de cet escalier  est pensif. C’est quelqu’un qui aime penser, se rémémorer les faits, les examiner tranquillement et en décider, si possible, sa conduite à tenir. C’est pourquoi, il n’a pas entrepris de redescendre. Il est urgent de réfléchir. Il vient de recevoir un refus d’une propriétaire à sa proposition de lui acheter une chambre de bonne. Bien sûr, il aurait pu la convaincre, l’amadouer, l’attendrir par son histoire avec cette chambre de bonne, celle-là justement, pas une autre. Ce n’est pas dans ses principes. Lesquels ? Se les ai-t-il jamais formulés ? Ils ont à voir avec la décence, la réserve, la dignité. Il avait pensé que ce serait facile d’acquerir la chambre de bonne puisqu’elle était à vendre et qu’il n’en discutait pas le prix. Fallait-il qu’en plus il se raconte. Qu’il mêle l’histoire de sa famille à la transaction, qu’il rappelle l’insurrection de Budapest pour expliquer pourquoi son père buvait et frappait sa mère. Quand madame Leclerc, la propriétaire, était arrivée, essouflée au septième étage de l’escalier de service, il ne l’avait pas reconnue. Elle non plus ne se souvenait pas de lui. Quand ils se saluèrent dans le couloir des chambres, ils crurent, l’un et l’autre que c’était la première fois qu’ils se voyaient. Mais, dès qu’elle s’était mise à parler, il avait reconnu la voix tendre d’autrefois.  C’était elle. En un demi siècle, elle n’avait pas changé. Alors que faire maintenant, la rappeler, attendre qu’elle comprenne pourquoi lui, Stefan Kowacs, voulait cette chambre, pour quelle raison impérieuse, il devait la lui vendre ? 

Cf #8 La chambre du 7 ème

#11 L’enfant du 7ème étage

3 – Il s’en passait des choses sur la plage d’Orangea, une plage de carte postale située à la sortie de la baie de Diego Suarez, à l’extrème nord de Madagascar, tout près du cap Miné. Il arrivait qu’on trouve sur le sable une samara, nom malgache donné à la tong. Plus intéressant, la mer pouvait y déposer des harpes. La harpa major est un coquillage magnifique, de la taille d’une paume de main, ventru, côtelé, avec une large bouche très brillante. Seule une famille séjournait dans ce paradis pour les vacances d’été. Il n’y avait qu’une villa. Le lieu était à moitié abandonné par la légion étrangère et ne servait plus que pour des manœuvres et d’épisodiques colonies de vacances du personnel de l’armée française, encore présente à Mada à cette époque. Le lieu était entouré de barbelés et gardé par un légionnaire, au sourire en or, qui répondait au nom de Georgio. C’est lui qui était chargé de surveiller qui entrait et sortait à pied de l’endroit et d’ouvrir la barrière lorsqu’une voiture autorisée se présentait. Tout est arrivé en raison d’un soutien-gorge, une histoire d’amour torride entre Georgio et Ravaka.

Cf #3 Mais où est l’autre ?

# 19 Rémanences 4 ème et 9 ème paragraphes

A propos de Emilie Kah

Après un parcours riche et dense, je jouis de ma retraite dans une propriété familiale non loin de Moissac (82). Mon compagnonnage avec la lecture et l’écriture est ancien. J’anime des ateliers d’écriture (Elisabeth Bing). Je pratique la lecture à voix haute, je chante aussi accompagnée par mon orgue de barbarie. Je suis auteur de neuf livres, tous à compte d’éditeur : un livre sur les paysages et la gastronomie du Lot et Garonne, six romans, un recueil de nouvelles érotiques, un récit hommage aux combattants d’Indochine.

4 commentaires à propos de “#anthologie #27 | Trois débuts”

  1. Bravo Emilie ! dans le 1er texte, on suit ce personnage avec une caméra, on le voit marcher dans ce village, revenir vers son passé, dans le 2ème, on sent déjà toute la complexité des personnages, les questions à venir…et dans le 3ème on est plongé dans une toute autre atmosphère et j’aime beaucoup votre zoom sur les éléments de la plage du début jusqu’à l’exposition de l’intrigue.

  2. Merci Virginie, contente de vous avoir intéressée. J’avoue avoir eu un peu de mal avec cette proposition. Elle m’a pris plus de temps que les autres. Merci d’avoir souligné la diversité de ces débuts. Je les voulais différents.

  3. Oui, Emilie, très différents ces débuts et quel excercice d’avoir su ramener sur l’avant-scène les textes des autres propositions ! Moi, je n’y suis pas arrivée. Merci pour ces trois belles histoires !

  4. Oh merci Helena ! Sans l’avoir voulu, mes vingt-six premiers textes ont tourné sur cinq ou six thèmes, de sorte que c’était possible de répondre à la proposition de F. B.