L’oncle Dino était venu nous chercher. Il s’appelait Bernardino, nous l’appelions Dino. Bien que nous ayons deux autres Dino dans la famille, un frère de ma mère, qui à l’époque vivait en Allemagne et un cousin qu’on appelle Dinuccio, le petit Dino, qui vivait à Monticchio, qui réalité se nomme Sabatino, il nous était impossible de les confondre. L’oncle Dino était marié à la tante Mena, c’est-à-dire Filomena. Ils habitaient l’Aquila, dans un appartement que j’ai toujours connu. Nous étions en retard, mon père était toujours en retard. Le temps de saluer mes grands-parents et toute la famille, de boire un café, le café qui était chaud dans la moka, nous partîmes vite, la voiture était garée devant la maison, la rue était étroite, les véhicules ne pouvaient circuler que dans un sens. Il fallait rejoindre la côte adriatique par l’autoroute A14 puis remonter vers le nord. Deux heures de route environ. Nous avons pris, la Via Dell’Olivo, la Salita delle Prigioni, la via Tagliamento, SS 17 bis. Puis la bretelle A24 pour rejoindre l’A14, l’autoroute adriatique. J’étais assise seule à l’arrière. Je ne disais rien. Je regardais la route, les panneaux, les montagnes illuminées par le jour flamboyant, les murs clairs, les volets fermés, … J’apprenais que je venais de ces montagnes des Abruzzes, que tout près, à l’est, on allait vers la mer adriatique, et qu’à l’ouest on allait vers Rome. De Rome nous ne connaissions que la gare, sous la chaleur caniculaire de l’arrivée au matin d’août. Je me souviens qu’un jour, l’autobus passa par le Colisée. Ma mère nous dit : “Regardez le Colisée”. Nous l’avons regardé par la fenêtre. Si Ignazio Silone avait vécu ici, il aurait écrit gli anni passavano, gli anni si accumulavano, i giovani diventavano vecchi, i vecchi morivano, e si seminava, si sarchiava, si insolfava, si mieteva, si vendemmiava. E poi ancora ? Di nuovo da capo. Ogni anno come l’anno precedente, ogni stagione come la stagione precedente. Ogni generazione come la generazione precedente. Nessuno a Fontamara ha mai pensato che quell’antico modo di vivere potesse cambiare. La vie avait changé avec nous, avec l’oncle Gelsino parti en Amérique et disparu pendant quarante ans en Argentine, avec Andrea, Bettino, Dino, tous les fils partis de Monticchio pour travailler en Lorraine, avec ma mère partie les rejoindre pour faire le ménage dans la maison des Scholtès, avec mon père parti en train l’année des Jeux olympiques à Rome. On a bien recommencé da capo, mais ailleurs.
Camarda était construite sur la pente de la montage, où l’herbe était très sèche. Assergi. Campo imperatore.
On avait à peine passé Teramo que le moteur ralentit. Impossible de dépasser les 60km/heure.
On avait pris le téléphérique pour rejoindre le sommet, où Mussolini avait été emprisonné en 1943, à l’hôtel de Campo Imperatore, à plus de deux mille mètres d’altitude. Les aigles royaux tournaient autour de nos têtes. Les chats sauvages se cachaient dans les roches. C’est là que pour la première fois, en sortant de la voiture de l’oncle Dino, qui avait emmené toute la famille prendre le téléphérique, je me retrouvais au milieu des nuages. Cette haute-plaine est immense, vide de toute habitation, en dehors de la station de ski, vestige des anciens lacs, moraines des anciens glaciers, ruisseaux glacés, brèches dans les parois rocheuses. Scindarella, Monte Portella, Corno Grande, Monte Aquila, la glace et la neige, siècles et millénaires. De l’herbe, de l’herbe sèche, un sol aride, la ligne des crêtes. Les étendues de graviers. Les petites fleurs jaunes. La sesleria des marais. L’alpage parsemé de troupeaux. La transhumance ancestrale. La solitude des bergers. Les vipères Orsini. Le Gran Sasso.
Je ne pouvais imaginer qu’un caillou, fut-il très grand, ait pu donner son nom à une montagne majestueuse et rude. Qui donc avait inventé ce nom de Grand Caillou ?
Les étoiles et les loups, la digitale rouillée, les poneys sauvages, jusqu’à ce que la neige arrive.