#anthologie #27 | Incipits

Mon enfance fut des plus banales. Partagée entre la capitale où mon père avait son travail, ma mère ses habitudes, et une maison de campagne dans un village champenois habitée par une grand-mère et l’ombre de son époux mort trop jeune. Autant Paris était le lieu du confinement, autant le jardin champenois fut celui de l’éveil. Ma grand-mère, institutrice, prenait en charge mon éducation chaque fois qu’un grain de folie provoquait en moi, après l’ennui, la révolte face à l’Institution sévèrement encadrée par quatre murs fermant une cour d’école, des rues pleines de dangers, des squares minuscules aux grilles implacables. Alors, mes parents m’emmenaient à la campagne, assurés que S., forte de son expérience, saurait mater le jeune poulain ruant dans les brancards, en quoi ils se trompaient lourdement, le voyage par la RN 19 était pour moi celui du retour vers les paradis de la découverte et de la liberté.

#anthologie #11 | Bien arrivés

C’est dans une combe au cœur du Luberon Un homme lassé d’exercer la médecine dans une banlieue chic, héritier de négociants aisés à Bercy (vins de Bourgogne, d’Alsace, du Beaujolais), achète un mas, dernière maison avant le chaos calcaire qui ferme le vallon. Pas d’électricité, peu d’eau ; sous sa protection bienveillante, sous ses ordres, une ribambelle d’adolescents viennent occuper leurs vacances, préparer une rénovation qui sera achevée par des artisans locaux créatifs, efficaces, pittoresques. Le Sud. Entre les jeunes gens logés à la diable, des amitiés se tissent autour d’un petit noyau, étudiants aux beaux-arts, lycéens entre deux bacs ou en échec scolaire. Petit à petit, la vie au grand air, loin des tentations pèse sur les plus vieux ; le village, à deux kilomètres à pied permet au moins de s’approvisionner en cigarettes et de boire quelques mominettes. Déjà deux couples se sont formés, qui tiendront jusqu’à la fin des vacances. On promet de se revoir, au même endroit, Jacques, le médecin s’est installé à demeure, il les attend.

#anthologie # |06 Dispersés

L’homme avait dit « Station Trocadero, sortie nord, 7h45, je vous précéderai ». On ne sait pas toujours à quoi on s’expose en répondant à un appel téléphonique. Quand quelqu’un vous interroge « aimez-vous votre pays? »… bêtement, j’avais demandé s’il s’agissait d’un sondage… au ton de la réponse, j’ai compris qu’il valait mieux ne pas plaisanter. J’ai reconnu que… oui, j’aimais ce pays, son grand général, ses trois-mille (était-ce bien trois-mille) fromages, Dior et le petit Marcel… il (c’était un homme) a soupiré, plutôt favorablement, et j’ai compris que c’était fait, j’étais embarqué. Il a parlé de voyages, de passeport à valider pour bientôt… « chez nous, ça va très vite, d’ailleurs, nous avons déjà votre photo ». Quand je lui demandai « pourquoi moi ? », il m’expliqua que j’avais été sélectionné après des mois de recherches sur dossiers, enquête, à partir d’un profil défini en haut lieu. Je me demandais si je devais le remercier… « Nous étions sûrs de votre réponse. Ah, une dernière chose, avez-vous un livre de chevet ? Pour chiffrer nos messages ? J’avais répondu La Disparition ? d’un certain Perec, Georges ? D’accord, mettez-le dans votre sac ». Après coup, je songeais que mes commanditaires risquaient d’être surpris pour crypter du texte dans un tel livre… je ne leur dirais pas pourquoi ! Ah mais, en voilà des façons de recruter son personnel !

#anthologie # | 17 bis Mon inconnu #anthologie #01 | Atomique