1 Un homme en tongues et bermuda s’approche de lui et lui dit Vous me faites penser à quelqu’un qui est, en ce moment, à l’autre bout du monde.
Comment ça vous me faites penser ? Mais c’est moi et il n’y a pas dix minutes, nous parlions ensemble en regardant la mer. Vous veniez de sortir de l’eau avec masque et tuba et nous avez quittés en disant que vous deviez rentrer pour écrire un article pour votre journal. Je suis surpris de vous rencontrer dans la rue mais vous n’avez pas pris le temps de changer de tenue.
Mais alors vous vous y êtes encore sur cette plage ? Mais non puisque je suis avec vous dans cette rue mais — je n’y ai jamais songé— nous sommes peut être entrain de boire un verre à une terrasse dans un autre endroit du monde (ou d’ailleurs). Restons en contact.
>anthologie 24
2 Tous les jours, Faucon vole haut, attrape une ascendance thermique, s’accroche sous un nuage, vole en Saint-Esprit, surveille la ville. Du sommet des toits au ras des trottoirs, il cherche ce qu’on lui a appris à chercher rats, souris musaraignes.
Colibri va et vient cherchant des fleurs à butiner. Il folâtre de balcons en jardinets, des ormes du parc aux marronniers de l’allée qui mène au château. Ses ailes tournent à plein régime, il faut éviter les passants, survoler les voitures,
Un jour, il s’arrête au dessus d’un massif de vipérine, Faucon le voit et puisqu’il n’y a rien d’autre à se mettre sous le bec, se laisse plonger sur lui. D’un coup d’aile subtil, Colibri fait une marche arrière brutale, emporté par l’élan, Faucon s’écrase juste en dessous sur un bambin dans son landau poussé par sa mère, directrice de la volière municipale.
>anthologie 5
3 Il voit chaque année arriver l’été avec inquiétude, il sait que la solitude va venir taper à la porte et lui raconter toutes sortes d’histoires plus déprimantes les unes que les autres. Il préfère l’hiver qui lui donne de bonnes raisons de rester enfermé mais ce sacré soleil est presque une injonction à s’évader.
Il a décidé de transformer l’été de son immeuble en hiver tristounet, Ça lui a pris plusieurs années pour faire installer petit à petit, des climatiseurs à tous les étages, des ombrières connectées, une sono qui diffuse aléatoirement des sons de pluie torrentielle. Il lui reste à imaginer l’approvisionnement pour faire soupes et chocolats chauds et à convaincre les voisins. Celui du 3ème lui a avoué qu’il avait rentré du fuel et acheté une nouvelle couette. Il en reste douze à convaincre (de voisins).
>anthologie 6
6 commentaires à propos de “anthologie #27 | doux rêves”
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… je n’avais pas lu la #6, ce texte de début m’ a invitée à le faire immédiatement avec grande envie… assouvie. Merci pour ce sujet de la solitude avec vos mots. Partagés. Emouvants.
Oh merci Eve. Deux textes lus à la fois, c’est super !
Imaginer l’avant, le « préquel » (mon fils, qui bosse dans le cinéma, vient de m’apprendre ce mot, alors je l’utilise) est un exercice que je trouve très structurant. Peut-on imaginer écrire un livre entièrement de cette façon ? Ça donne envie. Merci pour tes textes.
Oui, je trouve ces consignes et ces exercices très revigorants et titillants pour l’imagination. Merci pour cette lecture, Jean Luc.
J’aime beaucoup l’homme en tongs, ce côté absurde poétique et rêveur. Merci Bernard, bonne route.
Merci Clarence.