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Elle a composé le code d’accès de l’immeuble de la rue Saint Charles et se dirige vers l’ascenseur. Elle trouve que ça sent bon dans le hall, il y a des plantes vertes, de la lumière, de la clarté. Dans l’ascenseur, quelque chose qui ressemble à de la peur monte en elle, mais rien ne l’arrêtera, il faut qu’elle rencontre cette femme. Elle doit avoir 21 ans. Son père est mort l’an dernier et elle a découvert dans ses papiers qu’il avait été marié avant d’épouser sa mère. Elle avait questionné la fille de son meilleur ami au sujet de cette femme inconnue qui avait du compter dans sa vie au point de se marier. Et voilà que celle-ci la connaissait, qu’elle lui avait demandé si elle désirait rencontrer la fille de J.P, ce à quoi S avait répondu tout de suite qu’elle en avait très envie. Elle est arrivée au 7ème étage et maintenant elle sonne à la porte de S., retenant son souffle.
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Il fallait bien m’y attendre, un jour ou l’autre, ça devait arriver. D’abord maman, celle que les enfants appelaient Bonne maman, celle qui m’accueillait toujours sur sa poitrine, celle pour qui j’étais pour toujours son petit garçon. Et puis mon père, cet homme dur, qui ne savait plus rire depuis la Grande Guerre, devant lequel on rampait par ce qu’il avait toujours raison. Un jour pourtant il m’a dit quelque chose qui me l’a rendu humain et dont j’essaie de me souvenir, je devais avoir 8 ou 9 ans, j’étais exceptionnellement seul avec lui, je ne sais plus pourquoi, nous avions fait halte dans un hôtel dans le centre de la France, et dans cette chambre mon père s’était intéressé à moi, il m’avait parlé, il m’avait questionné, il essayait de faire ma connaissance. Très longtemps après, je devais avoir une quarantaine d’années, il m’avait avoué que c’était pour lui son meilleur souvenir, cette nuit à se parler, dans cet hôtel quelconque. Maintenant que mes parents sont morts, il va falloir vider leur maison, se partager leurs biens, se méfier des vautours, des jalousies, des rancœurs et des souvenirs qui vous sautent au visage.
# 11| Faut pas que je la loupe
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Marseille, 6h30, la ville se réveille. Les trottoirs sont encore propres, l’air n’est pas encore saturé, mon sac est prêt, je sors de l’immeuble en pensant à cette vie là-bas, ces paysages de carte postale, ces touristes contents d’être là, savourant des vacances durement acquises. Ils penseront baignade, glaces pour les enfants, parasol, crème solaire et revues à parcourir paresseusement sur la plage. Je marche tranquillement en direction du café corse, je sais que je vais plaisanter avec le patron, qu’il aura à peine dressé quelques tables dehors, qu’il dira qu’il fait déjà trop chaud, et je serai d’accord avec lui. Je m’assiérai dehors, heureuse d’être la première cliente dans le calme matinal du quartier et j’ouvrirai le journal encore vierge de lecteur. A la rubrique faits divers, entre le corps d’un adolescent retrouvé mort dans une voiture en feu et un pavillon criblé de balles sur fond de conflit de voisinage, je sais que je trouverai matière à quitter la ville. Et pourtant je continue d’avancer sur l’avenue.
#anthologie#anthologie #13 | Sans prétention