#anthologie #27 | D’un amour.

C’est l’histoire d’une femme qui à chaque fois qu’on lui demande si elle est encore amoureuse de l’homme avec qui elle vit depuis une trentaine d’années s’interroge. Cette simple question la plonge dans un tourment de pensées, de doutes, de certitudes aussi et, à chaque fois, qu’elle se trouve devant quelqu’un qui la pose, elle tressaille. Et longtemps après avoir quitté le questionneur ou la questionneuse, elle continue de tressaillir. Est-elle encore amoureuse de cet homme ? Qu’aime t’elle encore en lui ? Quel effet que cette chose aimer en elle ? Ce sont exactement ces pensées qui parcourent son corps et sa tête ce matin du 25 juin tandis qu’elle est attablée à une terrasse de café et que son amie Sophie qui vient de partir n’a pas omis de lui poser la question. L’a-elle fait dans un but précis ou serait-elle intéressée par lui ? se demande t-elle tout en tournant la cuillère dans sa tasse pour mélanger le lait et le café. Elle tente de se remémorer tous les moments où elle se trouvait en leur compagnie, mais seules de vagues images surgissent dans son esprit.

C’est l’histoire d’un homme qui aime une femme à qui on pose toujours la question, à savoir, si elle est encore amoureuse de lui. Lui ne comprend pas bien le sens de cette question et d’ailleurs personne ne lui a jamais demandé. Il se dit que si on lui posait, enfin, si quelqu’un osait lui poser, car il n’est pas homme à qui on dit ce genre de phrase, donc si quelqu’un osait le faire, si quelqu’un osait seulement, celui-ci comprendrait aussitôt par le regard et le silence qui adviendraient au moment de l’interrogation, qu’il aurait mieux fait de se taire. Il comprendrait instantanément qu’il aurait touché là quelque chose de l’intime qui ne le regarde pas et il s’empresserait de continuer la conversation, sans attendre de réponse, comme une erreur, un égarement sans importance, qu’ils noieraient dans les verres de rhum qu’ils seraient en train de partager.

C’est l’histoire d’une question qui serait toujours posée à une femme et non à son homme. Une question banale, voire anodine, qui peut-être demandée sur plusieurs tons 1. Grave si l’on souhaite s’engager dans une discussion touchant la personne au plus profond d’elle-même comme une invitation à se questionner intensément. 2. Léger et aérien comme une interrogation dont finalement on n’attend pas vraiment de réponse mais lancée comme cela pour passer le temps. 3. Confidentiel pour partager un secret. 4. Cynique parce que de toute façon, on ne croit plus à l’amour et on trouve presque cela ringard cette femme et cet homme qui continuent à clamer leur amour. 5. Hypocrite car tout ce qui nous intéresse à ce moment précis, c’est de sentir à quel moment, il pourrait y avoir une faille, quelque chose qui nous fasse comprendre qu’il y a peut-être moyen d’espérer une séparation pour eux et pour soi-même, un possible, un éventuel avenir. Quoi qu’il en soit et quelque que ce soit l’humeur que l’on choisit pour faire la demande, la véritable question que l’on ne pose pas mais qui nous brûle les lèvres est : Mais comment font-ils ?

#anthologie #15 | Amoureuse.

#anthologie #21 | Questionnement.

A propos de Clarence Massiani

J'entre au théâtre dès l'adolescence afin de me donner la parole et dire celle des autres. Je m'aventure au cinéma et à la télévision puis explore l'art de la narration et du collectage de la parole- Depuis 25 ans, je donne corps et voix à tous ces mots à travers des performances, spectacles et écritures littéraires. Publie dans la revue Nectart N°11 en juin 2020 : "l'art de collecter la parole et de rendre visible les invisibles" voir : Cairn, Nectart et son site clarencemassiani.com.

7 commentaires à propos de “#anthologie #27 | D’un amour.”

  1. J’ai envie de connaître les trois livres…encore plus le deuxième, belle façon de creuser le sillon, et cela confirme la richesse des textes de départ.

  2. J’aime cette façon que tu as de creuser ce sillon autour du questionnement amoureux. Un thème sur lequel je bute souvent et que tes mots me donnent envie de creuser dans un prochain texte. Merci pour ces mots magnifiques et les pistes qu’ils offrent pour ton (tes ?) livres et les nôtres ! Je t’embrasse

  3. Ah ! cet amour qui dure et que l’on jalouse, cet amour évidence qui fait froid dans le dos de celles et ceux qui ne l’auront jamais connu, oui comme il dérange ! Se poser la question comme on rongerait un os de la faille éventuelle dans un tel amour pour en arriver à la dernière question Mais comment font-ils ? et nous serions rassurés ! Merci Clarence !

  4. questionner les questions et ceux, celles, qui les posent. Merci Clarence pour ces fragments des questions amoureuses.

  5. C’est très réussi ! Un bonheur de retrouver votre texte mais sous forme de trois histoire. J’aime beaucoup comment le 3ème après les deux précédents devient l’histoire de la question. Merci !