Des pierres du ciment du ciel Nuits d’été dans des sacs de couchage et des châteaux forts L’herbe est humide elle supporte parce qu’elle aime marcher parce que surtout elle a besoin de n’être pas seule besoin et pour être d’un groupe il faut faire comme eux ils campent. Le jour les nuages passent le paysage jusqu’à la mer vieilles tours aux pierres tombées maisons à colombages pommiers Ils aiment les vieilles pierres tous même elle ils font des détours pour voir un camp romain un mur de la préhistoire un souterrain ils aiment les souterrains et elle aussi même si les tunnels c’est toute l’année pour elle la campagne c’est seulement l’été qu’elle peut oublier les tunnels de son quotidien dans les souterrains de la Défense dans les couloirs du métro les changements par cœur et les mines lointaines qui occupent ses journées derrière son bureau même si de nos jours les mines souvent sont à ciel ouvert elle se demande souvent ou très souvent Ils grimpent sur les remparts du plus grand château presque entier peut-être reconstruit les tours elle les aime rondes ou carrées avec des créneaux elle les aime en ruines les créneaux du temps pas ceux voulus par les hommes en haut des courtines et des chemins de ronde mais ceux faits par le temps les murs en diagonales elle prend dans les yeux les couleurs de la pierre de l’herbe et du ciel Le ciel est gris souvent mais moins monotone qu’au milieu des tours fusées des tours diagonales de fer de verre d’acier qui entourent le néant dallé de son quotidien à La Défense le temps glisse sans passer sur des formes géométriques trop nettes trop anguleuses pour laisser la place à une histoire.
Décrire un lieu demande non seulement de l’attention, de la délicatesse, le sens de l’observation, mais aussi une vision panoramique des choses, une plongée dans ce que le lieu exprime sans le montrer ouvertement, la compréhension de son mouvement propre. De son âme ou de son aleph.
Décrire l’âme d’un lieu est une tentative incomplète. Un lieu n’a d’âme que passagère. S’il est habité, il n’est pas la somme des essences qui l’habitent qu’elles soient des bipèdes ou du vent dans les feuilles, qu’elles soient foule guerrière ou clapotis d’un ruisseau ; mais doit s’en laisser traverser pour prendre consistance. S’il refuse, il se dessèche et disparaît en tant que lieu. Ce n’est pas la même chose que d’être à l’écart, car un lieu écarté garde sa personnalité. Si le lieu est désert même, il gagne en profondeur.
Se décrire soi-même en un lieu, c’est lui prendre quelque chose, quitte à lui rendre en retour de l’attachement – ou du dégoût. Respirer son air, fouler son sol, le pénétrer, s’en imprégner, le détester vouloir le fuir maudire la glu qui le compose et qui colle aux souvenirs, ne plus jamais, ô dieux, par pitié, y revenir, en rêver toutes les nuits, l’espérer en toutes saisons, le revoir, sentir son odeur, y déposer une nouvelle couche de la poussière de son propre temps.
Certaines personnes, poètes – mais pas tous les poètes, anges, penseurs des profondeurs, prosateurs hors sols, estiment que la question du lieu ne les concerne pas, qu’une strophe, une action peut se passer ailleurs ou n’importe où, qu’il n’est pas besoin de décor. Ce n’est pas mon cas.
J’ai mes lieux. Ces lieux ont une particularité que je suis seule à saisir. Ils ne m’appartiennent pas plus qu’à d’autre, mais j’en suis jalouse. J’entretiens avec chacun un rapport très différent ; l’éloignement et le temps en sont les ingrédients, avec le moment de ma vie où eut lieu la rencontre, avec les allers simples ou les allers retours, avec les gens qui sont ne sont plus n’ont jamais été y sont par l’imagination. Des lieux imaginaires s’immiscent dans la liste. Des lieux rêvés. Des désirs. La terre ne nous porte pas de la même façon en tout point.
Cela ne me donne pas de définition. Un lieu, c’est évident. Je pourrais m’appliquer à le décrire, à m’y décrire, à y inventer une histoire, à l’inventer lui-même. Je ne sais pas dire ce qu’est, « un lieu ».
#6 Seule sur les remparts
#13 Studio Decanis
#7 Réverbération de l’éther sur la plage
#12 et #21 E.W.N.
et même #1 Drôle d’endroit pour un musée, #2 Bleu nuit, #19 Images de Basse Seine, #22 Via Medina
et peut-être même #23 Le lac noir de la cathédrale.
Je n’ai pas rêvé. Des flammes sont montées dans le ciel de la ville. J’en rêve toutes les nuits, je ne pense qu’à ça. Je n’ai pas rêvé, la toiture a fondu, la flèche s’est écroulée. Et dans mes rêves, la cathédrale flanche. Le matin avec douleur je vais aux nouvelles, je la crois effondrée, les voûtes à ciel ouvert. Je n’ai pas rêvé, la pierre a éclaté, la charpente a brûlé. Mes rêves au réveille me semblent optimistes. Je ne rêve pas, la cathédrale sans toit, la voûte transpercée, est toujours là, debout. Il s’invente en pensée, en dessins, d’autres usages, en projets 3D. Une piscine sur le toit. Une serre avec des ogives de verre. Elle sera reconstruite dans son dernier état connu. Autre chose, rêver, autre chose et pourtant, comme on l’aimait, vieille et séculaire.
Merci Laure pour ton texte, j’y ai lu tellement de jolies images. Beaucoup aimé le premier avec cet amour des vieilles pierres en contraste/résonance avec les bureaux de la Défense à Paris. Beaucoup aimé aussi les lieux, l’âme des lieux, toi-même en tant que lieu, c’est vrai que c’est tellement riche cette question des lieux, merci et j’espère que tu vas bien. Bises.
Merci pour ton commentaire Clarence, j’ai mis un peu de temps à répondre, et à relire mes textes une semaine plus tard, on voit où ça accroche. Le premier textes et ses pierres me semble une jolie piste à suivre. J’espère que tu vas bien aussi. Bises