S’imposer dans la panique avec une voix de femme. Ne pas monter dans les aigus, ralentir le débit, parler bref. Celui qui était là en 2017, qui transpire la peur, qui veut la communiquer pour ne pas être seul, il mesure 1,80 m, il est anglais. Il parle français avec un fort accent qui en impose comme si c’était un signe d’expertise. Avec l’allemand, ils ne parlent qu’anglais. Ils ne sont pas arrivés ensemble, mais le danger les a déjà rapprochés. Cela fait 20 ans qu’elle gère des refuges. Elle sait tout faire des réservations à la cuisine, de la gestion des stocks aux soins aux blessés, de la plomberie à la réparation de la radio. Elle monte sur un banc. Elle montera sur la table si ça ne suffit pas. Elle commence en allemand, passe à l’anglais, puis au français. Court, efficace. Il ne s’agit pas d’argumenter. Elle est la capitaine d’un navire en perdition. Elle distribue les rôles. Toi les bols, toi l’eau chaude, toi les sachets de tisane, toi le sucre, toi les cuillères, on ne touche pas à la bière. C’est tout et que tout le monde s’asseye. Personne ne sort. Dans le silence revenu, pas le silence, une espèce de brouhaha soumis et les pleurs qui n’ont pas cessé. Des hocquets qui se tarissent et s’apaisent. Le bruit des bancs qui raclent, les bols, l’eau qui bout. La pluie sur le toit de tôle, le torrent furieux qui roule ses pièrres grosses comme des maisons. Le pire c’est la nuit. Elle prend place parmi eux, la nuit sera longue, il y aura d’autres batailles. Elle trouvera. Elle ne tremblera pas. Elle n’a plus peur.
Ouf ! rassurée ! (j’entends quand même les pleurs en fond sonore…)