Tu viens de relever Tarik, c’est le début de ton service. Tu refermes la porte que tu avais ouverte un instant pour changer l’air, assourdissant ainsi le ronflement constant des camions nombreux à rouler la nuit sur l’autoroute le long du Rhône.
Le réchaud à gaz chuinte, l’eau bouillonne doucement et monte, clapotement du couvercle et l’odeur chaude du café à l’italienne emplit la guérite.
Les gars de l’outillage terminent leur journée, ils sont les seuls à faire les 2×8. Un fenwick klaxonne. Tu te postes devant la porte, ton mug à la main. Arrivé à ta hauteur, Le Bison grogne quelques mots, il a finalement été affecté aux équipes du soir après avoir planté un cadre tête la première dans une poubelle, un jour où il avait encore forcé sur la bouteille. Le martèlement des machines décroît, le sifflement d’une perceuse s’arrête, des voix d’hommes, ils s’interpellent d’un bout à l’autre de l’atelier. Aboiements des chiens, impatients. Echappées d’air comprimé pour souffler les copeaux de ferraille, bruit de succion de l’aspirateur. Au loin et s’approchant, le moteur 4 cylindres de la moto de la nouvelle copine de Martin. Elle vient le chercher tous les soirs. Coups d’épaules dans les portes battantes du vestiaire, de l’eau coule, lavabos, douches, chocs métalliques des casiers qu’on déverrouille, rires, effervescence des voix.
Tu rentres dans ta guérite. Claquements secs des démarreurs, bruits de moteurs, quand les premières voitures se présentent, tu ouvres la barrière.
Tous sont partis.
Le lourd portail métallique grince sur le rail, tu enclenches les systèmes de sécurité et marches vers la cage des chiens. Cinq bergers allemands. Tu les libères.
Tu commences ta première tournée. A l’intérieur des bâtiments la chaleur retombe doucement. La structure du pont-roulant, les lames des moteurs électriques craquent de temps en temps, des transformateurs bourdonnent, le tablier d’une porte à enroulement bat contre un montant.
Le souffle du vent s’accélère dans les travées, un carton vide roule et se cale entre les fourches d’un chariot élévateur. Sous un auvent, les étiquettes accrochées aux disjoncteurs prêts à l’envoi frémissent.
Les chiens se sont dispersés sur les 18 hectares du site. L’un gratte la terre sous un platane, l’autre renifle les pneus d’une voiture restée sur le parking. Le chef de la meute s’est couché devant le portail clos.
A l’extérieur des murs, la ville se fait de plus en plus silencieuse. Tu rentres dans ta guérite, t’installes pour la nuit.
L’air s’immobilise.
Tu t’assoupis.
Il n’y a plus que deux chiens pour courir dans l’usine.
2 commentaires à propos de “#anthologie #26 | les chiens de nuit”
Laisser un commentaire
Vous devez vous connecter pour publier un commentaire.
J’aime beaucoup le titre et la suite je vois tout à l’oreille . Merci !
C’est remarquable de précision. On y est vraiment. Bravo !