Je m’allonge enfin, ferme les yeux, simulant un sommeil perdu d’avance. Au loin, des bateaux meuglent ; j’imagine les marins à bord dans la nuit, glissant silencieusement sur l’eau. J’imagine leurs gestes précis, mesurés, presque chorégraphies par l’obscurité et l’habitude. J’entends maintenant l’écho des pas d’une errance de pauvre, qui tourne dans les rues vides telle une bête en cage, à la recherche de choses à trouver, des choses qui pourraient lui être utiles, peut-être même des choses à revendre, qui sait, avec un peu de chance, trouver une montre en or égarée. Mais les images de sa quête disparaissent, interrompues par un cri de colère suivi d’une porte claquée, probable dispute d’un couple qui ne se supporte plus. La violence du claquement est telle que je peux deviner la frustration, l’envie de cogner… L’un d’eux a dû partir, préférant s’éloigner. Il vaut mieux parfois ne pas insister, ne pas s’expliquer par les mots. Le silence est désormais pesant. Un cri strident, suivi du bourdonnement d’un moteur qui accélère, déchire le silence, probablement un vol à l’arraché, un criminel en fuite… ou bien juste la rencontre de deux bruits avec lesquels je m’invente un récit, histoire de faire quelque chose. J’entends un mécanisme lointain, presque imperceptible, mais qui peut empêcher de dormir les plus fragiles. Ça ne vient pas de ma montre que j’ai laissée dans le salon, ça ne vient pas du plafond, non, ça vient d’en bas, ça remonte de la cage de l’ascenseur, ça vient des profondeurs, de souterrains dont j’ignore l’existence. Ce cliquetis ouvre l’étendue d’un monde vaste, dont j’ignore tout. Et puis, j’ai un doute : ce bruit pourrait venir de ma tête, je suis peut-être le seul à l’entendre, suis-je en train de l’halluciner ? Je prends peur, c’est pour l’instant un lointain bruit de métronome, certes dérangeant, pas invivable. Mais ça pourrait se transformer en voix, d’abord des voix de conversations délirées, puis des voix qui s’adresseraient à moi pour me martyriser… Je remets l’existence de chaque son en doute : l’aboiement du vieux chien, c’est peut-être celui d’un chien déjà mort, le souvenir d’un aboiement remontant avec le sommeil qui vient. J’entends les rires ivres des voisins rentrant chez eux, ou bien c’est une personne qui est plusieurs dans sa tête, et qui converse avec des fantômes, des morts dont elle ne s’est jamais remise, et elle boit pour les entendre. J’entends des coups de balai sur un trottoir, probable obsessionnel qui, une fois sa maison entièrement nettoyée, ne peut s’empêcher de continuer à nettoyer sa rue, puis tout le quartier. Puis j’entends le silence, le silence des machines, le silence dans le noir, le silence du sommeil des hommes, des animaux. D’un bref bruit confus naît l’image d’un rat chassé par un chat qui, jusque-là, roupillait sur le rebord de son toit préféré, son coin à lui, à des hauteurs vertigineuses. J’entends le rire narquois de la lune et me demande de qui elle se moque. L’église sonne une heure que je ne connais pas.