Ce serait comme des gouttes de silence. Le silence après la tempête. On pourrait l’entendre résonner. Entre les pierres de granit, dans cette ancienne grange, transformée en grande pièce à vivre, où les paroles ont trouvé refuge, les mots se sont encastrés sous les grains de mica, les cris des enfants se sont encalminés sous les fauteuils, et où le grincement et le frottement des portes gonflées d’humidité a enfin cessé. Pouvoir recueillir à nouveau le silence dans la vieille maison qui n’est plus habituée à autant de charivari, et qui s’éveille à peine d’un long temps de solitude où ne devait s’entendre que le froissement de la toile d’araignée se tissant, ou le souffle du vent se glissant sous les portes ou entre les volets à la jointure imparfaite. La maison retrouvera son intensité lorsque tous seront partis, quand le plus jeune des enfants ne jouera plus à tourner la clé, avec une certaine obsession, dans la porte du meuble bas, générant un cliquetis régulier, quand le chuintement de l’eau ou autre liquide ne coulera plus dans les verres, que ces mêmes verres ne se renverseront plus au sol, avec les mots de colère ou jurons selon les âges qui accompagneront, et le frottement rapide au sol pour éponger le mini désastre. Quand l’ouverture et la fermeture de la porte, incessantes, pour permettre à l’un ou l’autre, d’entrer ou de sortir, le rideau que l’on tire pour se protéger du soleil puis que l’on tire dans l’autre sens parce qu’il fait un peu sombre quand même, et une voix sur le chemin réclamant la venue immédiate d’une maman, mais laquelle est demandée, il y en a trois possiblement concernées, et la mamie se calfeutrant dans son fauteuil, et la maman désirée, qui a bien reconnu la voix de son enfant de se pencher au-dehors pour entendre une demande impérieuse et tenter de répondre. À force d’ouvrir et fermer les portes et les fenêtres, les mouches se seront engouffrées dans la salle, bourdonneront — le temps serait-il à l’orage — certaines se prenant dans les mailles de quelque toile d’araignée qui a échappé au passage de l’aspirateur. Quelqu’un allumera le téléviseur, c’est l’arrivée du tour de France qu’il ne faudrait pas rater pour certains convives, et la ruée sur les fauteuils près de l’évènement. La mamie cèdera sa place, se réfugiera dehors sous un arbre où elle n’espère que le chant d’un oiseau, mais c’est sans compter sur une petite fille qui voudrait bien qu’on lui raconte une histoire, et là sur un banc, la grand-mère doucement racontera à mi-voix, et le bruit des pages qui se tournent feront comme de petites caresses, et loin à l’intérieur les voix s’échaufferont pour commenter le sprint final qui semble n’en plus finir, et l’histoire, Le joueur de flûte de Hamelin, arrivera elle aussi à son terme, le joueur flûte jouant sa musique infernale. La fillette, recroquevillée contre sa mamie, réclamera une autre histoire, que la grand-mère inventera, et lui contera d’une voix encore plus douce, pour ne pas importuner les oiseaux, et c’est alors qu’une vache, dans le pré juste derrière le muret du jardin lancera un meuglement terrible qui effraiera un peu l’enfant, puis toutes deux partiront d’un grand éclat de rire. À ce moment-là, quelqu’un réclamera un bouchon de liège à voix forte afin de boucher une bouteille de vin entamée, un autre lui criera où en trouver, le premier tentera d’ouvrir le tiroir du bahut concerné lorsque un bruit épouvantable se fera entendre : le rayonnage de vaisselle où s’accrochait le tiroir ayant pris la décision inopportune de lâcher et de s’affaisser sur le rayon d’en bas, occasionnant quelques assiettes cassées ainsi que quelques verres qu’il faudra vite balayer pour que personne ne se blesse, le tout agrémenté de cris d’effroi devant cet évènement qui retarderait le départ, car il faudrait évacuer toute la vaisselle en bon état sur la table voisine, et tenter de remettre le rayon en bonne et due place, et à force d’essais enfin fructueux, le rayon à nouveau à sa place, mais la vaisselle abandonnée sur la table, car il faudrait vraiment songer à rentrer, et ce sera l’envol de tous ces oiseaux migrateurs qui rejoindront chacun un coin de région différent, les portières de voitures qui claqueront, les pleurs d’un petit très occupé à étudier la progression d’un carabe et qui ne voudrait pas partir tout de suite, les moteurs qui diminueront d’intensité, puis la maison qui retrouvera sa vie de maison d’avant, de celle où peut se distinguer chaque petit bruit d’une vie invisible, à se demander si ceux d’avant, les anciens occupants, les aïeux dont on ne sait plus rien — arrières-arrières grands-parents — ne murmureraient pas entre eux maintenant, et commenteraient cette journée de regroupement familial enfin achevée. Puis on n’entendrait plus que la respiration régulière de la grand-mère enfin seule et épuisée.
Magnifique évocation… je n’ai pas les mots. Merci Solange pour ce texte avec un thème (celui de la maison, du lieu habité ou déserté) qui m’est très cher et qui revient souvent des mes propres textes. Et puis la beauté de la langue, la force évocatrice de certains passages comme « La maison retrouvera son intensité lorsque tous seront partis, quand le plus jeune des enfants ne jouera plus à tourner la clé, avec une certaine obsession, dans la porte du meuble bas, générant un cliquetis régulier, quand le chuintement de l’eau ou autre liquide ne coulera plus dans les verres, que ces mêmes verres ne se renverseront plus au sol, avec les mots de colère ou jurons selon les âges qui accompagneront, et le frottement rapide au sol pour éponger le mini désastre. » Merci pour ça.
Merci Camille pour ce commentaire qui me touche beaucoup!
.. j’aime l’araignée qui s’en sort bien, et puis la vaisselle cassée et tous ces corps qui se croisent et font écho à d’autres, avant, bien avant… Les vieilles pierres et leurs mystères sonores et pas que.. « ça » se lit sur une grande expiration qui se prolonge jusqu’au silence retrouvé. Merci!
Merci Eve pour vos lectures intenses, et le temps pris pour laisser un mot qui touche toujours .