#anthologie #26 | Interminable

Les déjeuners sont interminables.

Suzanne s’affaire à ses fourneaux : la cuisinière à bois, la flamme qui monte quand on soulève les anneaux de fonte polie et brossée qu’on entend retomber puis remettre en place.

Marguerite, la bisaïeule cherche son”p’tit couteau”.

Il sera pour lui quand elle mourra. Ce “p’tit couteau” qu’on fait tourner parmi les convives si la viande est dure. Vrai rasoir, lame creusée par les affûtages ; en restera-t-il quelques millimètres utiles quand la mémé mourra ? Elle le retrouve et attend, un peu tordue, presque bossue sur sa chaise qui craque sous son poids.

Cliquetis de son dentier. Les parents ébauchent un sourire.

Entre la cuisine et le “bureau” où l’on déjeune, passage étroit, comme un deuxième couloir, où Suzanne fait des allers-et-retours, un œil sur ses rôtis, manipule des couvercles. Anticiper la suite à l’écoute des bruits de la cuisine. Assise à la table, sa mère est tiraillée : elle voudrait aider Suzanne mais les deux enfants l’occupent, se chamaillent. Le garçon qui ne mange que ce qu’il aime, qui maigrit, la petite fille, qui a besoin d’aide. Elle dévore et distribue un peu partout les cuillerées de purée. Au hasard, on ramasse où c’est tombé. Joues enflammées, pommes d’Api.

Le déjeuner s’étire rituellement.

Après les betteraves rouges et le céleri rémoulade, le gros poulet de ferme est découpé par le père. “Je prends la carcasse”. Lui aura droit à un pilon, (garçon, jambon, dindon, pilon, celui du marchand de couleurs de la rue de Pontoise, image évitée). Poulet, un peu de sauce sur les pommes de terre sautées qui frissonnent encore dans la poele. Un régal, il mange bien. Il aime tout cela. Pas de haricots, d’épinards, verdures amères. Incident, son refus du fromage. Odeur l’a toujours dégoûté. Colère sourde du père, “il faut goûter”, … menace vague.

« Qui veut du café ? ». Les parents empilent les assiettes, table roulante qui grince dans le corridor. Bouilloire emplie au robinet, attendre, gros bouillons, chocs métalliques, Les filtres individuels posés sur chaque tasse ; n’en finissent pas de passer, on tapote les bords avec des « cuillers à café », toutes petites.

Les enfants sont expédiés au jardin, « mettez vos cache-nez !», courent dans le couloir, claquent la porte vitrée.

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