Un mur et des volets. Séparation entre la chambre de l’enfant et la rue. La fenêtre ouverte, les volets fermés, il entendait tout ce qui se passait dans la rue, sans être vu. Le soir, les espagnols, ceux du Centro pour réfugiés politiques situé un peu plus haut dans la rue, s’arrêtaient souvent devant la fenêtre. L’enfant se redressait dans son lit pour les écouter. il aimait ce moment. Il ne savait pas la langue espagnole mais il la connaissait, il en connaissait la chanson, il en aimait la chanson aux modulations si musicales. Ce soir il y avait deux voix aiguës – une d’enfant et l’autre de femme – et deux graves dont une assez nasillarde. La femme riait à chaque fin de phrase prononcée, d’un rire légèrement éraillé, tandis qu’el niño accompagnait la conversation par un mamá, mamá ! en contrepoint. L’enfant dans son lit l’imitait, puis il imitait la voix de chacun des hommes, des voix qui roulaient les mots en bouche, qui roulaient les rrr, la langue vibrant derrière les dents. Il parodiait la façon dont les questions réponses s’enchaînaient à toute allure, véritable composition virtuose de ceux qui parlent en toccata. Ce soir, le ton monta, se hissa en hoquetant vers les aigus jusqu’à l’explosion en un éclat de rires auquel opportunément le paon du jardin attenant répondit Léon ! C’était le signal pour dormir.