Le chemin que je n’avais pris qu’une fois dans la lumière du jour descendait dans la nuit, caillouteux, entre les buissons, les petits chênes tourmentés et les pins dont l’odeur, libérée dans la fraîcheur de la nuit, m’avait accueillie, me grisant légèrement. Mes pieds glissaient parfois sur une racine, faisaient s’effriter la crête d’une ornière, crisser un petit tas d’épines de pin. La nuit se faisait plus profonde, les troncs s’effaçaient et mes sensations dans ce vide s’aiguisaient, réduites presque à l’oreille, au toucher, à l’odeur. M’appuyant sur le tronc rugueux d’un petit chêne, dans l’odeur et la gluance de la résine, tendue un peu, humant l’air et la présence des buissons, je prenais conscience, rassurante un temps, laissant monter peu à peu l’impression d’une étrangeté vaguement hostile, de la vie qui m’entourait, du frottement des branches, de petits éboulements de pierres inexplicables, d’un glissement léger de je ne savais quoi sur je ne savais quoi, de ce qui ressemblait à un souffle, les distances et même les orientations devenant imprécises et puis il y eut la quasi certitude d’un battement d’ailes, l’idée d’un oiseau de nuit, une image qui devait me venir de Doré, et un peu plus tard au moment où je posais mon pied délicatement, pour éviter d’ajouter du bruit aux bruits, sur ce qui semblait le fond d’une petite cuvette de terre rouge, certainement rouge en accord avec les blessures de l’écorce des chênes, venu d’un peu plus bas et devant moi semblait-il, de la lisière d’un bout de plage, un discret ahannement et ce que j’ai cru identifier comme le glissement d’une coque sur du sable humide, un choc de bois sur du bois, puis rien pendant un temps, avant un cliquetis métallique le bruit sourd d’une toile qu’on soulève, plie, roule |je voyais les bruits plus facilement depuis que mon esprit s’en était formé une idée|; je me suis immobilisée, cédant à un rien d’indiscrétion, au plaisir de m’imaginer en espion bienveillant… le silence s’est prolongé et je m’interrogeais, un claquement qui évoquait un briquet, un « mierda » deviné, bouffé qu’il était par des dents filtrant une voix de basse de rocher dans le ressac et mon esprit a commencé à rêver dans le souffle du vent qui s’endormait. Et puis il y a eu un grondement, une colère canine, une voix tombant de la gauche, d’un peu plus haut, de là où je devinais maintenant une petite lueur à travers les superpositions de branchages, a lancé une interjection interrogative, de la plage n’est venu qu’un choc et un juron, un échange murmuré là-haut, une voix de femme se faisant pressante et son appel volant à son tour vers le rivage, les mots noyés dans un rire, un grognement a répondu |je me recroquevillais, laissant mon imagination tâtonner à la recherche d’une histoire bien atroce pour habiller la gêne de mon silence indiscret | la dégringolade des pattes et le petit aboiement couiné qui m’a rappelé un chiot déjà rencontré se sont précipités pour tracer un lien entre ces voix et cette présence sur la plage, dégringolade stoppée brusquement, comme par une surprise qui a infléchi son trajet, le dirigeant vers moi avec un petit jappement amical. Trois tons de voix différents, se penchant, montant, pour se marier en un « Gredin ! ici ! » et mon nom lancé par la voix de femme.
(trop bien)
🙂 trop gentil toujours… merci
je prends enfin le temps de lire. J’aime beaucoup ce que la narratrice vit comme une expérience nocturne des sens, réservoir de fiction ! , et du bruit qui suscite l’image : « avant un cliquetis métallique le bruit sourd d’une toile qu’on soulève, plie, roule |je voyais les bruits plus facilement depuis que mon esprit s’en était formé une idée| ». J’aime aussi cette perception accrue du vivant !