De loin ça ressemble à une musique d’ambiance d’un soir d’été, comme un bruit confus de notes légères. En s’approchant un peu de là où le son remplit l’air, on arrive à distinguer le grésillement de quelques accords grattés sur une guitare amplifié par une possible sono mal réglée, de paroles en anglais chantonnées qui tentent de prendre le dessus. Maintenant qu’on arrive encore plus près, on perçoit comme un bourdonnement qui va et vient, un brouhaha de voix joyeusement dissonantes s’acoquinant avec des éclats de rire, par-ci par-là, rauques ou d’enfants turbulents, et puis des tintements de verres vides ou probablement à moitié pleins, des tables qui grincent, des chaises qui se cognent. Tout semble aller bien, comme un refrain aux rimes faciles qu’on retient une fois rentré dans le silence de son chacun chez soi.
Tout cela ressemble à une parenthèse de douceur partagée, un mixage éphémère de bruits indolores, sans danger, mieux, qui font oublier qu’on est toujours tout seul au monde et qui offriraient le temps d’une pause, d’un arrêt sur image avec bande son assurée, un éclat voluptueux d’insouciance quelque part sur terre… Pendant qu’ailleurs…
Loin ou pas loin, la distance ne fait rien à l’affaire, c’est l’affaire de bruits de botte et de coups de matraque, d’explosions et d’éboulements, de jets bouillonnants de lave sur des villages se volatilisant, d’une eau de mer jaillissant de Canadaires sur des arbres brulants. La distance ne fait rien à l’affaire des hurlements sous le sifflement des balles, des cris d’effroi devant l’éclatement des corps, des gémissements de douleur et de désespoir. Loin ou pas loin la distance ne fait rien à l’affaire des voix d’atroce vérité dévoilée par des survivantes d’un enfer du diable personnifié, des cris de révolte des opprimés, des corps déformés des exploités. Parce que loin ou pas loin c’est aussi l’affaire de craquements de branches épuisées sous l’incessant hurlement du vent déchainé, de grondement d’eaux des rivières débordées, d’un étrange vrombissement de deux millions de moustiques génétiquement modifiés lâchés comme ça pour voir dans l’atmosphère… Loin ou pas loin, c’est sans fin.
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Entre rêve et cauchemar éveillés, je n’entends pas le claquement de mes pieds qui aimeraient pourtant danser. Je ne sais plus qui je suis, où je suis, où je vais. La nuit est tombée, sans bruit.
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A l’appel de la tempête, une nuée de mouettes rieuses s’époumonent au-dessus des bateaux qui déjà tanguent bruyamment. Je suis le cri de l’une d’elles, un cri qui invite la marée montante à venir engloutir dans les entrailles océanes toutes les atrocités du monde d’ici en les harponnant à la gorge avec les racines, toutes les racines.
A marée basse, le calme revenu, je suis le chant de la baleine qui délicatement vient déposer sur le sable encore mouillé tous les espoirs enfin réunis et ses messagers, souriant, confiants.
De près comme de loin, on croit que tout est à nouveau silencieux. C’est un merle moqueur qui donnera le la. Un nouveau jour vient de se lever.
j’aime bien le parti pris du contraste et des variations orchestrées par le près et le loin, un carrousel sonore de la vie du monde, du plus dramatique au plus insouciant…
« On est toujours tout seul au monde » en italique,
pour la chanson « les uns contre les autres »? (Toujours l’intertextualité.) Cela a résonné ainsi pour moi, mettant du son sur la douceur du début et accentuant le contraste avec la suite, qui n’est pas une suite mais une simultanéité. Merci pour ce « saisissement global » par l’écriture, pour ce tout, (et les délicats « je suis »).
Exactement on est frappé par un jeu de simultanéité .
Je suis impressionnée par le flot des évocations . Bravo! Merci !
« Parce que loin ou pas loin c’est aussi l’affaire de craquements de branches épuisées sous l’incessant hurlement du vent déchainé, de grondement d’eaux des rivières débordées » parce que loin ou pas loin on est frappé par la beauté des mots et la vérité crue qui en ressort. Sublime évocation en nuances de notre monde à l’agonie. Merci !