C’est devenu un fracas sans bords. Le jour la nuit, pareil ; l’extérieur l’intérieur, même chose. Parfois je sens que il, ou elle, ou les trois petits veulent que. Veulent moi. Veulent vers moi. Qu’une voix se détache et me cherche, vient flairer autour de mon corps, veut entrer dans mon oreille. Ça pousse fort contre la paroi de ma tête, c’est brouillé comme les images de la grande fenêtre qui émet tout le temps dans la solitude, je presse sur la boîte noire, je fais rouler les aigus, les graves, les bouches qui battent la colère, les bouches qui glougloutent des rires, les bouches qui crissent comme les fauteuils qu’on déplace d’un coin à l’autre de la salle à manger. Tamtam jusqu’à l’effroi. Les premiers temps j’ai cherché à monter sur le manège, je voyais bien que. Ça tourne. Ça tourne comme le pied de la danseuse dans la boîte à musique. Il suffirait peut-être de faire semblant, de faire remonter des syllabes dans le gosier, les sculpter comme des grains, cracher ensuite – en cadence. Rejoindre la ronde. Leur brouhaha me scrute, harponne le souvenir sur un pieu. Quand ça grimpe l’escalier c’est une question, quand ça tranche au rasoir c’est un reproche. Puis le pire : quand ça patauge dans de profondes flaques de lait, la voilà la pitié. Assis là, tous, elle et il, et les trois petits, puis autour les fantômes et leur vacarme de vaisselle brisée ; je suis branché sur la fréquence de leurs effondrements, chacun le sien, chacun la ritournelle aiguë de sa propre perte. J’entends quand ils grattent à la porte du sens, grande symphonie d’éraflures, de petits couinements chiards, c’est mon orchestre maintenant, voix ample et vorace et qui refuse de se taire depuis la fosse. Voix à venir, voix auxquelles ils n’entendront rien, les trois petits bientôt grands, il, elle, ce monde où la parole reste bien en face des trous.
Expérimentation auditive et grammaticale, je kiffe à fond dans cet orchestra familial. Merci