Tes odeurs pour dire le lien. Le temps.
Beyrouth l’été. Je suis l’enfant et tu transpires quand tu me portes. La vie sent doux. Je me sens sucrée.
Tu me serres contre toi après la douche. Me sécher, corps enveloppant. Et je te renifle sans bruit. Le cou surtout et la poitrine. Ton odeur, accentuée par l’effort. Ton odeur de bébé.
L’eau de javel, les produits ménagers. La maison n’est jamais assez propre. Tes mains s’y perdent, tes doigts. Je retrouverai l’odeur ta peau plus tard.
Journées de plage avant la guerre, les odeurs de sel et de crème solaire (et son goût quand elle coule). Les égouts par endroits (tu nous déplaces aussitôt). Les odeurs molles de nos sandwichs faits maison. Tu as prévu le concombre entre fromage et pain, ça désaltère tu dis. Je retiens tes phrases comme sagesse du quotidien. Et l’odeur verte en bouche (le concombre tient à peine droit). Penser fruits ou légumes quand on manque d’eau.
Tu préfères les piqûres de moustique à l’odeur des spirales à brûler. J’admire silencieusement ton courage.
Tu fermes les fenêtres contre les odeurs de soufre et de métal, comme pour nous protéger de la guerre. Tu ne peux rien contre les éclats de son et de lumière.
Rentrer de l’école, deviner le repas. Dégoût à la seule odeur des plats sophistiqués. Tu es blessée, vous êtes des ingrats.
L’odeur de l’asphalte chaud, je la sens du balcon. Les échappements des camions, des motos. Tu as la chance des fumeurs à l’odorat tamisé. Le tien, comme mémoire sélective t’épargne parfois.
Tu ne pues pas des aisselles, tu es fière de n’avoir jamais acheté de déodorants. Je vérifie, confirme. T’envie.
Respirer c’est me remplir de tes odeurs, tout près et contre, comme petite de nuit — ton odeur repoussait fantômes et cauchemars.
C’est parfois les oignons frits avec nos sept épices, cuisiner avant la douche. C’est moi qui sens l’huile ? Tu voudrais que je le nie.
Le matin, odeur de café et d’allumette grattée. Les moments silencieux ont leurs odeurs. Je t’aime simple comme ça.
Tu m’as appris à renifler mes vêtements en cas de doute. L’odeur décide.
Quand tu plantes le beurre périmé sous mon nez. L’odeur en jugera (tu n’aimes pas jeter).
Les odeurs de ta coquetterie, laque parfums et crème. Ton rouge à lèvre aussi. Ta féminité me reste mystère.
Au seuil déjà la maison t’exhale, je suis chez toi. Accueillie.
On ne s’embrasse pas, on se renifle quand ensemble à nouveau — après des mois d’éloignement.
Je sais que je n’habite plus avec vous quand les pièces portent leurs odeurs — on ignore l’odeur de chez soi.
Fumée et odeurs de cigarette. Ton air boudeur quand je referme la porte de la salle de séjour sur vous deux. Mon sentiment coupable, vous aimerais-je moins que cette haine ?
Je me lave les mains à chaque fois que je touche l’argent. Tu ris et me demandes si je fais de même en France.
Un jour l’odeur de l’hôpital dans la chambre qui a senti poudre et parfum. Est-ce encore toi dans ce lit endormie ?
Je demande à ma nièce de me parler de l’odeur de ta maison. Mélange de bois (les meubles), de plantes (le balcon) et de cuisines. Peut-on approcher les odeurs d’un lieu sans penser les vies déroulées ?
Ta petite-fille me dit, je sens encore son odeur dans les chambres. Dans le salon. Partout, son odeur. Le soulagement de ma nièce m’émeut. Malgré nos nettoyages. Malgré le vide, ton odeur vit. Faut-il être enfant pour détacher l’odeur de la matière ?
Si l’odeur ne me vient plus, serait-ce t’oublier ?
J’ai lu « Tu préfères l’odeur des moustiques aux piqûres des spirales à brûler » et me suis demandé si c’était possible. Bien aimé « planter le beurre périmé sous le nez » « renifler ses vêtements… c’est l’odeur [qui] décide » qui juge. ferme et définitif. Merci Gracia pour ce paysage olfactif.
haha, j’adore l’inversion ! merci à toi Cécile pour la lecture et ton retour
« Les odeurs molles de nos sandwichs faits maison. » odeur molle me plait et toutes les odeurs du texte dans la richesse de ses mémoires , je lis à proximité d’une pastille à la citronnelle chimique et je me demande si la piqûre .., ( l’odeur de la laque de ma grand mère, qui n’a jamais senti sous les aisselles, me revient ) merci Gracia
la citronnelle sent bon comparée à ces spirales vertes (vous avez ça en France ? une horreur…) merci Nathalie pour les évocations, pour tes mots (on partage ça de plus, des ascendantes qui ne sentent pas des aisselles 🙂 ). Merci fort
Que d’odeurs rappelées, c’est beau !
Merci Emilie, c’était tentant de retourner dans ces univers olfactifs
Présence absence – les odeurs au coeur, le coeur de nous – y penser c’est le sentir battre, magie de leur mémoire chimique,
très très beau, une fois encore, chère Gracia,
C
merci beaucoup Catherine, beaucoup
Très touchée par ce portrait en odeurs, et en finesse de ces moments de vies, triviaux et du coup magnifiques
oh c’est ton retour qui me touche beaucoup, merci de relever la force du quotidien « l’ordinaire », si important. Merci Line
Quelle magnifique élégie ! Douceur et grâce sont les deux mots qui me viennent à l’esprit en lisant ton texte. Merci !
c’est beau de lire en élégie, ça m’émeut… merci pour ta douceur, merci fort chère Helena
Toutes ces odeurs intimes, tous ces moment d’intimité qui témoignent de la vie et qui font trace. Merci beaucoup Gracia pour ce beau texte.
merci à toi Elise de lire ces traces
L’éphémère, la prise, les instants. Justes, instants-odeurs, instants-espaces. L’été m’a pris l’écriture, j’ai fait quelques percées. Ici par exemple. Bonne suite.
merci Nowenn, bel été, bonne écriture par percées
des personnages s’inventent derrière le TU, derrière le « JE » et aussi des bébés, des enfants
une galerie de portraits à travers les odeurs…
merci Gracia…
merci à toi Françoise, merci beaucoup pour tes lectures
Merveille…
oh merci