Il y a une scène dans Les fantômes où le héros s’approche à le toucher, dans une file d’attente de restaurant universitaire, du tortionnaire qu’il traque – il ne sait pas que c’est lui – il sent – c’est lui
dehors il pleut et ils interrogent la veuve de Maia – puis ils montent tous dans le bureau, la poussière la pluie sur les carreaux les feuilles de papier les pièces du dossier – et assis là son fantôme
dans l’entrepôt de pneus, il y avait un jeune type en bleu qui tout en balançant les pneus pour qu’on les range dans la remorque, chantait et éructait et imitait les pets, le tout baignait dans la sensation du noir de carbone du caoutchouc des tracteurs et des camions
c’est plutôt de l’oignon frit
en bas de l’avenue, le garage s’appelait Robert et à celles de la graisse, des pneus, des huiles et de l’essence se mêlait celle du vent et de la lagune toute proche – fétide, doucereuse, écœurante – la vase – le type portait un bleu de travail marron taché de noir et à la main une jante, il me regardait venir, il s’appelait Habib
avec cette saloperie de covid on ne sent plus rien – on ne goûte plus à rien – on n’a plus de goût pour rien – il y a quelque chose de la mort qui traîne surtout pour les vieux
celle de la mort a quelque chose de palpable : je me souviens de la thanatopractrice qui était venu chez elle, l’après-midi de ce samedi-là, je l’avais laissée, j’étais parti acheter au monopix de l’avenue une bouteille de whisky, l’étiquette représentait deux chiens, l’un au pelage noir l’autre blanc, j’ai traîné, en revenant elle en avait terminé – il restait bien qu’elle ait eu ouvert les fenêtres de ce petit appartement des relents particuliers – elle s’en est allée oubliant dans le lavabo un de ses instruments chromés – je l’ai rattrapée dans la rue – en rentrant un verre (mais c’est un rituel empli d’erreur)
quand il s’agit de prendre le métro, à la pointe, il vaut mieux fermer les écoutilles
une chanson d’un sale type faisait « j’ai toujours ma place dans le métro » (je crois que c’est Renaud – d’ailleurs on dit parfois »ça renaude ») – le putois – celles des bêtes chevaux vaches – celle de l’herbe coupée
ils s’installent dans une des parties de l’appartement, isolée du reste par une porte – quand le lendemain matin ils s’en vont, il y a là qui reste cette sensation de la crème dont elle enduisait les mains de son enfant
(dans la 4L rouge, pas uniquement celle de la poudre et le sang : aussi celle de la sueur des meurtriers)
elle faisait cuire au four des poivrons, des tomates et de l’ail – elle hachait tout ça avec deux couteaux – salez poivrez, huile et thon (servir frais)
salade tomates oignons ?
Je revois très bien Jacques essayant de récupérer avec tristesse ce qui pouvait l’être à l’aide d’une petite cuillère. Sans me l’expliquer, je me souviens avoir vécu cette scène comme un désastre. J’aime encore l’odeur de la Gomina : douceâtre, légèrement citronnée. Elle reste synonyme de netteté, de luxe, d’une forme d’éxigence (Marcel Cohen, Faits – folio 5940)
Il est descendu en chantant à Sèvres-Babylone chantait Bill Deraime – et là se trouvait une des officines de ce commerçant, raciste notoire (on n’en achète plus – mais qu’est-ce que ça change ?) qui ne voulait pas que ses produits soient distribués ailleurs que dans ses propres épiceries, et certainement pas en dehors de la capitale, rue de Sèvres comme il en était une rue de Castiglione coin Saint-Ho et une autre sur les Champs-Elysées – on entrait les filles étaient en tailleur noir, petit foulard noué au cou chaussures hauts talons « il est conditionné en 50, 100 ou 500 millilitres vous désirez un flacon de quelle volume ? » – « je vous parfume ? » On ouvrait sa veste pschittt pschittt
aisselles, aines, plis rides vallées et monts, celui de Vénus (l’alpinisme du poète, première à éclairer la nuit chantait Bashung) – nos humeurs, la lymphe ? La sueur ? Les larmes ? Nos sécrétions – nos métabolites nos urines – à chaque chose cette correspondance
plus le goût que l’ouïe s’y attache – mais il se peut qu’un son en provoque l’apparition, une couleur tout autant, une image – il arrive qu’on sente au cinéma ce qui nous est montré à l’écran – il y avait un développement qui a fait long feu, l’odorama (je ne sais comment se nommait le poste du technicien (ou la) de création qui en avait la charge) – devant la scène où tout à l’heure s’enverrait paître à vingt mètres de haut un piano droit, un des servants passait alimentant sa machine à odeurs (une espèce de bétonnière sur roues) « et maintenant la pizza !!» (Royal de Luxe, 1998)
celle du pain grillée du café de la confiture
celle du bois qui flambe et craque et crie et tout à coup paf ! Une étincelle s’éjecte
celle des lacrymogènes ce soir-là, on a couru au métro, sortant du Hautefeuille (mais qu’avions nous été voir?) des flics patrouillaient dans les rues (début décembre quatre-vingt six : Malik Oussekine perdit la vie, battu à mort – les fonctionnaires de police auteurs de ce meurtre sont sortis libres du prétoire – ni oubli ni pardon)
l’art de dire sans (presque) nommer
tous les mots chargés d’effluves (l’air de rien)
remarquablement réussi merci
Merci pour cette belle lecture et cette pluie d’odeurs de tout registre !
Ni oubli ni pardon pour certaines odeurs, je souscris! merci pour ce texte à entrée et sorties ( de secours!) multiples qui se relit avec… appétit d’en trouver d’autres plus tard. merci!!
Cécile, Monica, Ève, merci à vous
J’aurais dû lire ton texte avant de publier (ou pas) le mien. Cécile a bien dit, toi, tu as trop bien écrit. Merci !
Helena, merci – tu as bien fait de publier le tien -comme une espèce de dialogue – bon courage pour la suite, amie !