#anthologie #25 | odeur de soleil

Odeurs qui enchantent ou qui réjouissent

Odeur des figues cueillies à l’embarcadère de Pellestrina, leur chair rouge grainée. Odeur de l’herbe fraîchement coupée et celle de la terre après la pluie. Odeur du pain croustillant. Odeur des brins de Darjeeling à l’ouverture de la boîte à thé. Odeur de soleil un matin dans votre cuisine, quelques effluves de café et surtout la prégnance d’une eau de Cologne.

Odeurs d’été

La friture des poivrons crépitant dans la poêle. La fraîcheur des concombres parsemés d’ail et de menthe. L’huile d’olive gouttant sur les tomates. L’huile solaire sur la peau. L’acidulé du citron pressé sur les fraises. Les émanations du bitume amolli par la chaleur. L’odeur mouvante des branches d’eucalyptus. L’amertume glacée du Campari.

Odeurs qui émeuvent

La transpiration fraîche des premiers efforts, des premiers essoufflements. L’odeur laiteuse d’un torse. L’odeur de tes cheveux d’enfant emmêlés au sortir de la sieste. Le parfum des grands-mères, la violette flétrie de leur peau délicate. Le chocolat noir fondant dans une casserole. La trace d’un parfum sur un vieux vêtement. Le pelage mouillé d’un animal.

Odeurs du vin

Nez d’amande, de noix grillées, de châtaigne. Parfum de miel, de vanille, d’agrumes. Notes fruitées (melon, litchi, cassis, abricot). Notes animales (ventre de lièvre, cuir de Russie, souris). Senteurs de forêt, de mousse, d’humus, de bois humide. Légère effluve de truffe. Notes florales (pivoine, chèvrefeuille). Senteurs de foin, d’herbacées. Dominante minérale crayeuse, granitique, volcanique. Arôme secondaire de cerises confites.

Odeurs qui font rêver

Un parfum d’Osmanthus en jaillissements minuscules. Les fleurs des buissons de pittosporum dans un jardin d’orage. Dans le même jardin, l’âcreté d’une haie de buis à laquelle on n’a pas prêté attention. Et la senteur inattendue d’une rose ancienne.

Odeurs des mots

Quel pouvoir d’exhalaison ont les mots ? Le mot tilleul parfume-t-il notre promenade ? Le mot merde pue-t-il ? Le mot orange donne à nos yeux la couleur. Donne-t-il aussi à nos narines une acidité plus ou moins sucrée ? Quels mots choisir pour faire vibrer les effluves de l’orange, de sa chair, de son zeste ?

Le mot odeur prédomine, rien ne semble dire mieux ce qui sent, le neutre de ce qui est senti. Ses synonymes vont surtout préciser un sens favorable ou négatif à l’odeur en question ; ainsi le bouquet, le fumet, le parfum ou au contraire la puanteur, les remugles… Ou bien lui donner une coloration un rien précieuse avec l’effluve, la senteur, l’exhalaison, l’effluence, l’émanation… Le verbe sentir étend un empire aussi puissant que vague, tout à la fois émanation et réception. Tu peux me sentir parce que je sens (bon bien sûr) alors qu’un autre me sent plus ou moins (je la sens pas trop) selon qu’il pressent que j’entre ou pas dans ses harmoniques. Il ressent pour moi quelque chose d’immatériel, d’intangible comme une odeur subtile, difficile à cerner, il se fie à ce sentir comme à un sixième sens.

Une liste selon Sei Shōnagon qui pourrait ne jamais se finir 

A propos de Muriel Boussarie

Je travaille sur un chantier d’écriture au long cours et j’espère avoir assez de souffle pour le mener à terme. L’intuition de ce projet a surgi ici, dans un atelier du Tiers Livre. Il était question de se perdre dans la ville. Comme je ne voulais pas suivre une piste trop autobiographique, j’ai délocalisé l’errance en la situant dans la ville de K., un avatar de Hong Kong qui m’avait tant fascinée. Alors un personnage, un homme, Tu, toujours interpellé, est immédiatement apparu dans une rue de K. où il s’était égaré. Malgré cette entrée en matière – très forte pour moi – je n’ai pas pensé au départ écrire une histoire, encore moins un livre. Mais je voulais écrire, rêver un univers, celui de K. Quelques textes ont ainsi vu le jour sur mon blog. Puis lors d’un nouvel atelier de François Bon, un fil d’histoire plus précis s’est ébauché : le départ de Tu et L. vers les îles pour fuir la dictature qui sévit à K. À ce moment-là s’est déclenché un grand désir de narration. Beaucoup de choses se sont précisées au fil de l’écriture, bien des personnages sont apparus… Et régulièrement j’utilise des consignes de l’atelier comme pistes pour développer mon récit.

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