‘Je me suis habitué à la puzza’ dit le petit enfant à sa mère. Je constate que moi aussi je me suis habituée à la puzza. Une odeur doucereuse, que de façon legère, on aurait pu prendre par celle des fleurs pourris. C’est d’ailleurs ce que les employés disent souvent. Que se sont les fleurs pourris qui dégagent cette odeur. Mais l’odeur de la mort rend la promenade surréelle. ‘Je me suis habitué à la puzza’, l’enfant ne sent plus l’odeur des deux composantes de cette puanteur spéciale : celle du diaminobutane, vulgairement appelé PUTRESCIN, qui a une odeur vaguement ammoniacale et qui rappelle celle du poisson pourri, et celle de la caseine, la même qu’on retrouve dans le fromage, et qui est libérée par la décomposition bactérique.
Nous sommes dans l’hangar depuis un moment, nous filmons des gens qui s’entretiennent avec leurs morts autrement que dans le reste du cimetière. Devant les centaines de tombeaux en marbre qui s’égrainent dans les espaces extérieurs, il m’est arrivé de voir des personnes amener des petits pains avec des anchois, relater leur vie à leurs morts, leurs demander des conseils, passer des journées entières avec eux…
Mais dans l’hangar les familles se comportent en général autrement. Ils ont l’air pressé, semblent incertains, vont en catimini. Une fille rentre sur la pointe des pieds, regarde derrière elle comme pour s’assurer que personne ne l’a pas aperçue. Puis sort. Prenant du courage, rentre à nouveau. S’approche. En vitesse se fait un selfie à côté du mort qu’elle est allée voir. Puis mal à l’aise, comme si elle avait volée la photo, elle se défile, sort à l’extérieur, se sauve. D’autres ont ces mêmes types de comportements saugrenus, ils rentrent et sortent, ils rentrent à nouveau, repartent. Tout dans cette super longue espèce de tente se fait en vitesse, les gens qui y pénètrent a l’air de se sentir coupables d’y aller comme de s’en aller.
Dans ce contexte, cet enfant de six ans qui vient de dire à sa mère ‘Je me suis habitué à la puanteur’ c’est d’autant plus touchant. Rosa est venue avec ses trois enfants pour voir son cher homme disparu dans l’hangar depuis des mois. Ils y viennent le samedi, le dimanche, dès qu’ils le peuvent aussi en semaine. Rosa appelle la sœur de son ex-mari au téléphone. La sœur du disparu crie de l’autre côté du téléphone :
« qu’est ce que tu fais là, Rose ? Ou sont tes enfants ?
– Ici sont là.
-Tu lui a amené des fleurs, Rose ?
– Oui je lui en amène tout le temps, des fleurs de tous les types. »
Les trois enfants qui semblent en faire qu’un embrassent leur mère de toutes leurs forces.
En sortant la fillette dira : « merci aux morts ».
C’est poignant et si bien écrit. Merci.
Bonjour Caterina
Magnifique, intriguant, je vous rencontre par vos deux textes en ligne, et je suis fort touchée par l’intimité immédiate qu’ils dégagent, merci du partage, et bonne suite,
Catherine S
« merci aux morts » (quelle plongée dans ce hangar tout à coup !) (merci Caterina)
Una situazione narrativa davvero interessante e una scrittura intensa, ritmica, circolare, in cui ci ritroviamo subito dentro.
Ces personnages qui prennenet forme grâce au dialogue.
Vas-y! Poursuis, on a envie de lire tout le livre.
Grazie Caterina.