#anthologie #25 | Hyperosmie

Carnet
À l’appel de cette proposition inspirée par Ryoko Sekiguchi, je vais regarder mon carnet de l’hiver 2022. Surprise, il s’ouvre par ce mot : « L’odeur ».
Je le parcours rapidement. Je repère une seule autre occurrence : « Les pieds en l’air – l’odeur de l’herbe – et ce serait l’été. »


Verbe
en latin, sentire
en français, sentir : par le nez
en italien, sentire : par les oreilles
et dans les autres langues latines, quel sens accapare le verbe décrivant aussi la perception générale de tous les sens ?


Hyperosmie.
Exagération de la sensibilité olfactive.

Elle avait toujours eu un nez de chien de chasse. Vers la fin de sa vie, c’est devenu une maladie.

Elle ne savait pas nommer son trouble. Au début, personne ne la croyait. Son médecin pensait qu’elle s’écoutait. Ses enfants voyaient bien qu’elles souffraient, ils croyaient l’aider en tâchant de lui faire comprendre que le psychisme peut induire des effets bien réels. Son psy essayait de comprendre. Personne n’a jamais su pourquoi elle appelait ce dernier « mon cow-boy ».

C’était devenu invivable. Elle voulait mourir.

MCS. Syndrome d’hypersensibilité chimique multiple, en anglais multiple chemical sensitivity.

Elle fut forcée de s’adapter. La vie était très compliquée. Plus aucun détergent. Plus de savon de Marseille. Plus de parfum. Son fils lui disait, ne dis pas « odeur » quand tu parles aux gens, ils risquent de mal le prendre, emploie le mot « parfum ». Plus d’eau de javel. Une lessive très particulière, qu’elle mit du temps à trouver, après de nombreux essais. L’une des pires odeurs : la lavande. Elle demanda à ce qu’on arrache le buisson devant sa porte. Une souffrance, une idée fixe de chaque instant.

Elle supposa plusieurs causes, une piqûre d’anesthésie pour une opération au visage ; une fois où elle avait reniflé un paquet de lessive en poudre, on n’a jamais très bien compris pourquoi elle l’avait fait.

L’encens. Le patchouli. Elle faisait tout son ménage à l’eau et au vinaigre blanc. Les exhalaisons des buissons de fleurs. La senteur des roses. Continuer à vivre en détestant le printemps.

Le syndrome MCS provoque différents symptômes tels que céphalées, douleurs musculaires, tachycardie, plaques rouges sur le visage, sensations d’étouffement…

Une racine dépassant d’un trottoir l’avait fait tomber à plat ventre. Son front avait heurté le sol. C’était avant la piqûre, avant la lessive respirée. Ce qu’elle avait pris pour des causes étaient n’étaient peut-être que des symptômes.

C’était comment ses odeurs d’enfant ?

Le fou rire à sa messe d’enterrement quand le prêtre balança l’encensoir tout autour de son cercueil, l’enveloppant dans un nuage odorant.


A propos de Laure Humbel

Site internet : Sur mes tablettes, laurehumbel.fr. Dans l’écriture, je tente de creuser les questions du rapport sensible au temps et du lien entre l’histoire collective et l’histoire personnelle. Un élan nouveau m'a été donné par ma participation aux ateliers du Tiers-Livre depuis l’été 2021. J'ai publié «Fadia Nicé ou l'histoire inventée d'une vraie histoire romaine», éd. Sansouire, 2016, illustrations de Jean Cubaud, puis «Une piétonne à Marseille», éd. David Gaussen, avril 2023. Un album pour tout-petits, «Ton Nombril», est paru en octobre 2023 (Toutàlheure, illustrations de Luce Fusciardi). Le second volet de ce diptyque sur le thème de l'origine s'intitule «BigBang», la parution est imminente.

2 commentaires à propos de “#anthologie #25 | Hyperosmie”

  1. Quel texte on est emporté et certaines phrases fortes et définitives qui fonctionnent comme des balises dans le récit, du genre : « Elle avait toujours eu un nez de chien de chasse » et puis « Continuer à vivre en détestant le printemps » Merci pour ce voyage en hyperosmie Laure !

  2. C’est un syndrome très peu connu, bien moins que l’anosmie, et j’ai voulu en témoigner, car j’ai accompagné la personne dont je parle dans ce texte, et c’était compliqué. Je suis contente que mon texte t’ait touché, merci pour ton commentaire.