À quoi ressemblerait un carnet un calepin d’odeurs, un fichier pour respirer ce qui flotte du vivant (et du mort d’ailleurs, pourquoi pas) ? Il faudrait des pages bombées comme un flacon ; je le glisse dans ma poche, je le flaire dès que flanche ma silhouette dans le monde.
Ça pourrait être un herbier ? Mais sécher une odeur, c’est comme mouiller l’encre des mots – soudain quelque chose est perdu, s’efface. Ici : suffoque.
Ces mots écrits dans l’urgence du retard, le bout de souffle du quotidien – parfum du contretemps, passé déjà avant d’avoir trouvé son bouquet.
Faire ce jeu, trouver l’odeur qui se dégage de chaque texte, au fil des propositions. Essayer :
- #0 saveur de neige fondue, sur la langue
- #1 quotidien déposé juste sous le nez ; on ne le sent pas, c’est la lettre de Poe mais on l’appellerait : le vent volé
- #2 la perte, à en faire tourner la tête
- #3 odeur jaune et âcre, qui grince sous la dent, fait remonter le mou nauséeux de la langue aux câpres lorsqu’on allait le dimanche manger chez la grand-mère
- #4 Bribes d’effluves instables : baies et noisettes, enfance de fruits, parfois une pincée de houx
- #5 Haleine blanche (mais si on sent très bien le blanc, le rance de sa sollicitude)
- #6 Facile : oliviers, lavande, herbe brûlée, essaims de joie
- #7 Notes de poivre en embuscade, on éternue pour s’aligner sur le bruit
- #8 Une menace qui monte, lourde de champignons
- #9 L’air du matin, celui qui s’engouffre vif, franc du collier, surgi par les deux battants de la fenêtre ouverts d’un grand geste sec
- #10 Muscade ambrée, paprika aztèque, une pointe de piment qui fait gonfler les lèvres
- #11 Forcément l’odeur de la nuit, odeur urbaine, odeur bitume, grisée la mémoire s’allonge sur le trottoir
- #12 Comment flairer les contours du mouvement ? Obligée d’inventer un Schengen olfactif : ensemble ce que sécrètent les bouleaux, la foule, les volets colorés. Je dis – odeur ! et la voilà absente de tout bouquet.
- #14 Barbapapa et déception, cocktail d’adulte
- #15 Difficile à définir, mais progressive ; disons une sorte d’acidulé qui grignote doucement la pièce
- #16 Cette odeur-là est une sensation sous les molaires d’enfant : la paille mâchouillée nerveusement sur fond de grenadine
- #17 Pastilles Ricola ; chez nous la mémoire collective se cuisine aux herbes des Alpes
- #18 Les images – toutes – gardent au fond d’elles ce relent d’intériorité manquée
- #19 Ici à peine une odeur, plutôt une nappe de sensations où l’odeur prend sa place, oui, mais laquelle ? Trop d’afflux, comme si l’ensemble du passé revenait condensé sous forme de pot-pourri [l’expression ne rend pas justice aux traces furtives mais tenaces de bonheur]
- #20 Le texte ne l’encapsule pas, elle est dans le hors champ des photos elle aussi, mais : l’odeur du produit de nettoyage dans les escaliers (sans doute une cire pour le bois), l’odeur qui s’ambre à mesure que les persiennes tamisent la pièce du souvenir, l’odeur iodée qui vient dans ma parole
- #21 Une amertume sous les doigts à renifler l’université dans ces footnotes ; comment ne pas lui abandonner l’espace de la marge, comment reprendre goût à la référence joueuse, furtive, celle qui se débarrasse de son arrière-gout de preuve ?
- #22 Le parfum si éphémère du magnolia qui surplombe la rue depuis le jardin de l’enfance et qui ne me revient qu’à l’instant : il avait disparu du paysage
- #23 Bouquet terreux, gonflé d’eau de pluie et de sous-entendus
C’est beau ce carnet-flacon « Il faudrait des pages bombées comme un flacon ; je le glisse dans ma poche, je le flaire dès que flanche ma silhouette dans le monde. » et quelle formidable idée » trouver l’odeur qui se dégage de chaque texte, au fil des propositions ». Merci pour ce très beau texte
Oh merci beaucoup pour votre lecture! Je me demandais si ça fonctionnerait ou pas, mais en tout cas je me suis vite prise au jeu.