L’odeur de craie, peut-on parler d’odeur à propos de la poussière de plâtre, un goût sur la langue, et au fond du nez une impression chaude et pierreuse.
L’odeur de craie mouillée, dessins et lettres délavés d’eau en grands gestes d’éponge mangée d’acide, l’odeur de craie et d’eau sale qui ne font qu’un.
L’odeur de craie de très bonne qualité, une matière dure, très peu de poussière, plus chère à l’achat, plus durable à l’usage, qui casse net, qui sent peu, à peine l’idée de l’odeur de la craie.
L’odeur de peinture, pourrait-on yeux fermés reconnaître la couleur ? La bleue, acide, la fragence la plus prégnante, le rouge primaire presque coupant et le blanc tel un printemps frais, une fraîcheur douce de gomme arabique.
L’odeur de peinture qui sèche sur le papier détrempé d’eau, une odeur d’imprimerie.
L’odeur de farine et de sel, surtout de sel, et le goût sur les lèvres, l’odeur de pain cru quand mélangés à l’eau, matière à modeler rapide à faire avec une odeur de pâte à pain, doucereuse, et pourtant acide.
L’odeur de coton et caoutchouc, vingt-quatre paires de chaussons qui relâchent ensemble l’odeur de quarante-huit pieds transpirants, odeur de lait sûr, piquante, juvénile, immature, unique, vingt-quatre fois mêlée dans un nuage de senteurs, la marque olfactive des petits de corps confiés, la trace de leur intimité, de leur sueur, celle de leurs pieds, la plus marquée. Dans le mélange, saurions-nous reconnaître celle de nos propres enfants, disparue depuis longtemps, restée dans leurs tiroirs des années après.
L’odeur de placard d’école échappée telle une nuée à l’ouverture des deux battants, encre, papier couché, papier crépon, feutres, peinture, toute chose rangée, fermée, nettoyée et pourtant l’odeur flotte, reconnaissable, celle des crayons, bois et graphite, celle des colorants qui traverse les emballages, celles des ramettes de cinq-cents feuilles, celle du Canson, odeurs disparates formant l’odeur du placard, à la fois papeterie et marchand de couleur, une odeur à la fin des vacances qui saute au nez, envahit, crie fort la reprise, et pourtant qui s’évapore aussi vite qu’on la sent, l’odeur d’une minute recouverte par celle du propre, du nettoyé des jouets, des tapis, des cousins, une odeur de lessive bon marché et d’adoucissant lavande, l’odeur unique de la rentrée.
Certains parlent de l’odeur d’hôpital, l’odeur d’école aussi peut être caractérisée, javel à l’ancienne remplacée depuis par des désinfectants, détartrant, désodorisant, et la craie, les vêtements humides, les chaussures, les manteaux, l’odeur d’école qui paralyse celles et ceux qui en ont bavé, que l’enseignant n’aimait pas, qui recevaient des punitions, ne sortaient pas en récré pour finir leur page, celles ou ceux qui disent en entrant Ça sent l’école.
Très fort d’être restée aussi près des matières, prouesse de ce texte de rester à la fois si près et dans le même temps d’élargir la focale, de laisser apparaitre le lieu,
Merci Line,
Effacer les éléments biographiques ( autant que possible) oblige à mettre plus de sensations et de matière justement,
Le texte de Ryoko qui utilise plus de cent fois le mot « odeur » m’a fait changé sur le jugement porté à propos de la fameuse « répétition » tant réprouvée dans les expressions écrites, ( je m’étais permise de lui poser la question 😳) ( à revoir dans le replay de la rencontre)
Cat
L’idée du lieu recréé par les odeurs est géniale. Moi qui ne sait pas faire des descriptions, prends ici leçon ! Merci !
Merci Helena,
C’est la belle leçon apprise un jour d’été en rando écriture avec Fabienne Swiatly ! Choisir un morceau de paysage dans qui nous entoure, l’écrire cinq fois selon les cinq sens.
Jamais oublié ce moment, une ouverture à la description, une joie du vocabulaire, incroyable ressenti du même brin d’herbe cinq fois un monde !
Merci, Catherine. Cela a dû être superbe ! Quelle belle consigne !
une si belle plongée… merci pour ce voyage dans le monde des craies et autres merveilles d’enfance. superbe Catherine
Bel ensemble.
Finesse dans le rapport aux odeurs, la manière de les dire.
Beau : « L’odeur de peinture, pourrait-on yeux fermés reconnaître la couleur ? » et ce que vous déployez autour de cette question, « Dans le mélange, saurions-nous reconnaître celle de nos propres enfants, disparue depuis longtemps, restée dans leurs tiroirs des années après. », « l’odeur d’école qui paralyse celles et ceux qui en ont bavé… ».
Et tous les passages où ça parle d’école, que c’est beau, et comme ça donne de l’ampleur, une forme aux autres fragments que vous écrivez depuis le début de l’atelier autour de ce thème.
Continuez !
ah oui, l’odeur de l’école (très beau ce placard ouvert et tout le paragraphe qui sent !) (merci pour ce texte Catherine, ce qu’il réactive)