#anthologie #24 | ton ailleurs que personne ne sait

Il y a le tressaillement léger de la main, l’agitation à peine perceptible du bout des doigts de la main gauche, les deux bras allongés de chaque côté du corps, posés à plat sur la couverture fine remontée jusque sous les  aisselles – elle entre se penche murmure ton prénom pose ses lèvres sur ton front – il y a la pâleur du visage la sueur de l’été sur le visage le blanc de la chambre sur le visage – maintenant elle tourne autour du lit elle tourne autour de toi elle te regarde elle soulève chaque bras pour dégager la couverture, la rabat, elle t’inspecte elle reprend possession de toi qu’elle a quitté hier soir, quand les lumières s’allumaient jaunes et tièdes et tristes quand les voix s’éloignaient dans le couloir quand les – au revoir à bientôt, repose-toi bien – quand les roues caoutchoutées et l’odeur un peu écœurante – il y a le fin tuyau transparent dans la narine, fixé en boucle derrière l’oreille gauche, il y a tes yeux toujours fermés tes cheveux plaqués dans le trou de l’oreiller les ratures de la joue creuse ; derrière la vitre le bâtiment gris derrière le bâtiment gris le clocher noir devant le clocher noir le samedi c’est marché, on y vient de loin depuis la campagne où tu es tombé dans l’atelier – tu travaillais trop tu n’arrêtais jamais tu aurais dû tu n’aurais pas dû ils auraient dû mais non ils s’en foutent ils t’exploitaient te faisaient trimer comme… – elle dit tu as trop chaud – elle fait glisser encore la couverture sur le corps maigre, elle la tire lentement sur le drap avec ses deux bandes bleues pour encadrer le nom à la lingerie, elle rabat la couverture la fait reposer sur le tube métallique tout au fond du lit, – ça te pèse trop sur les pieds, il fait si chaud elle dit – ton père m’a déposé, il viendra plus tard il avait des choses à faire en ville il arrivera dès qu’il a fini – elle prend le fauteuil poussé dans le coin sous la télé morte, elle approche le fauteuil de toi – tu respires dans ton ailleurs que personne ne sait – elle s’assied dos au bâtiment gris au clocher noir au marché elle s’assied contre tout ce qui n’est pas toi, elle prend ta main dans la sienne, la caresse doucement – elle te raconte les nouvelles de la vie et de la maison – elle pense sans y penser –  c’est étrange – comme tu as la peau froide – elle dit c’est bizarre – comme une peau de serpent.

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