#anthologie #24 | sommeil et li(t)s

Quand elle ou lui vers la fin sombraient dans le sommeil, tout se mélangeait en moi : il me les prenait, je lui en voulais, mais en même temps tous deux pouvaient, grâce à lui, prendre peut-être un peu de repos. Ils récupèrent, disaient les auxiliaires qui savent. Et moi, je pensais que l’un comme l’autre s’échappait, faisant des incursions dans l’autre part, là où l’on n’a plus à passer par les mots convenus, les mots qui rassurent les visiteurs penchés sur les lits aseptisés. Il dormait, les bras bien rangés le long du corps mais le sommeil avait cessé d’être le fruit de l’amour qui dénoue les corps, dévaste les lits, cela qu’on nomme abandon. Elle dormait comme elle pouvait, un peu surélevée sur le matelas anti-escarres dont le petit moteur au ronronnement régulier la réveillait quand elle était bien partie pour un peu de répit. Bien avant, elle dormait sans faire de bruit, ou le moins possible. Pour ne pas déranger. Lui ne se posait pas la question : on ne sait pas qui on est quand on dort, quand on lâche prise. Je pense à eux deux quand je m’endors. Sommeil haché menu. On se retourne dans tous les sens. On attrape le deuxième oreiller qu’on place sur le premier, comme pour amortir un choc. Les phrases, les visages entament leur danse derrière les paupières qu’on ouvre brièvement pour chasser les intrus qui donnent le vertige. Mais à peine écarté, le tourbillon se reforme. On essaie de se caler du bon côté, qui n’est jamais le même et on ne lutte plus, on accueille ce qui arrive. On s’appuie sur la douceur d’une silhouette qui ressurgit, enveloppe, aide. Propulsion. Parfois des bribes de ciel, des lueurs d’étreintes, mais aussi des déserts d’attente, des lieux qu’on croit atteindre et qui se volatilisent. Tu as bien dormi, cette nuit, je t’ai entendue ronfler en passant dans le couloir, dit l’enfant devenu grand. Alors, je pense à eux deux qui se sont endormis pour toujours, et dont on parle sans faire de bruit, près du vitrail représentant un grand lis, comme celui qu’ils ont emporté dans leur dernier sommeil.

A propos de Christine Eschenbrenner

Génération 51.Une histoire de domaine perdu, de forteresse encerclée, de terrain sillonné ici comme ailleurs. Beaucoup d'enfants et d'adolescents, des cahiers, des livres, quelques responsabilités. Une guitare, une harpe celtique, le chant. Un grand amour, la vie, la mort et la mer aussi.