#anthologie #24  | Paul Nizan | face à face 

En un instant volé à notre dialogue il avait fermé les yeux d’un geste presque imperceptible, j’aurais pu ne pas m’en apercevoir, une feuille qui tombe sans bruit ; confortablement en torsion gauche de son buste le bras déposé sur le dossier de la chaise la main négligemment pendante, les yeux cherchant l’ouverture il avait poursuivi confusément de quelques mots, ses paupières frémissant légèrement trahissant une lutte intérieure que je ne pouvais comprendre.

Était-ce de l’irritation ou une pointe d’amusement que je ressentais face à tant de désinvolture cette d’audace pour moi qui ne pouvais m’abandonner au sommeil ou à l’évasion, je ne saurais dire, peut-être les deux se nourrissant l’une l’autre, une frustration discrète mêlée à de la curiosité je devenais le témoin de ses pensées errantes. 

Le visage aux deux sillons nasogéniens rides codes-barres n’avait jamais connu d’élixir ou sérum miraculeux, à présent affaissé, une lassitude témoin d’un combat silencieux, il racontait une histoire d’usure que le temps avait travaillé, une gravité triomphante de sa résistance. Il semblait s’effacer lentement comme un personnage qui sort de scène sans faire de bruit. Devais-je le secouer le rappeler à notre conversation ou simplement accepter cette parenthèse inattendue, ce glissement hors du temps.

Il rouvrit les yeux. Un instant je me demandai si j’étais encore un interlocuteur ou un simple observateur, le silence qui s’étirait entre nous semblait vouloir répondre à ma question sans jamais vraiment éclairer ce qui venait de se jouer en ce bref instant d’absence.

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