#anthologie #24 | L’hôtel endormi

E me fait miroiter le luxe des chambres de l’hôtel Palazzo Donizetti du nom du compositeur Giuseppe Donizetti instructeur général de la musique impériale ottomane à la cour du sultan Mahmud II. Nous sommes à Sishane. Il a voulu fêter notre départ et se faire pardonner les heures de marche que j’ai enduré en m’offrant de me vautrer dans le grand lit d’une chambre au parquet sombre, aux lampes en porcelaine et aux draperies de palais brodées de fil d’or. Le sommeil est-il différent d’un hôtel à l’autre ? Du Grand Almira au Palace de Sishane ? Ai-je à regretter d’avoir dormi au Grand Almira? D’avoir pris mon take away au Sadıkoğlu Kebapçısı plutôt qu’au Dudu restaurant où nous dînons en contemplant les lumières de la ville?

Getli veille toute la nuit assis derrière la banque d’accueil à l’entrée de l’hôtel. Peut-être qu’il se renverse sur sa chaise et dort la bouche ouverte après avoir fermé la grande porte comme on ferme sa maison. Tout l’hôtel est endormi. Les deux femmes qui font l’entretien sont rentrées chez elles. Elle s’affaireront le matin pour nous préparer le petit déjeuner. Maintenant que je suis à la 303 une famille se partage la 103 et la 102. Le père dort sur le dos et sa femme couchée sur le côté doit endurer ses ronflements. Elle a le sommeil léger depuis bien avant les ronflements de son mari. Depuis la naissance de ses jumeaux, son sommeil n’a plus été le même. Les deux jeunes garçons adolescents maintenant sont dans l’autre chambre. Ils n’ont pas tirés les rideaux. Il ne dorment pas et veillent très tard devant les écrans bleus de leur téléphone. Deux jeunes femmes sont à la 203. Elles étaient fâchées ce matin et ce sont longuement plainte d’un cafouillage dans leur réservation qui les contraignait à dormir à Fathi alors qu’elles avaient prévu d’être dans la partie asiatique de la ville. Elles ont monté de gros sacs à dos. Elles dorment profondément, leurs souffles se mêlent. Elles bougent dans leur sommeil sans se gêner. Elles sont en confiance. Leur corps sont détendus. Elles seront bien reposées demain et l’esprit plus clair elles se rappelleront qu’elles ont payé cher ce voyage et qu’il vaut mieux en profiter plutôt que de gâcher de précieux jours en récriminations.

Je n’ai pas dormi dans le palace. J’ai dormi dans la chambre 103 du Grand Almira. Un bruit d’eau dans la tuyauterie m’empêchant le sommeil vers 2h du matin, je me suis plainte à Getli qui m’a proposé de dormir sous les combles. Ce n’était pas la terrasse et la vue imprenable du Dudu mais un bout de toit encombré de cageots, avec une chaise en plastique blanc pour m’asseoir, regarder le ciel et écouter le chant des muezzins. Je n’y suis restée qu’une nuit. La 303 a été ma dernière chambre.

A propos de Gilda Gonfier

Conteuse, paysanne, sauvage. Voir son site 365 oracles.

4 commentaires à propos de “#anthologie #24 | L’hôtel endormi”

  1. Impression d’entrer dans un récit en cours en même temps que dans les chambres de ces dormeurs ! Je me trompe ? Merci !

  2. on aurait pu s’approcher davantage de ces dormeurs inconnus qui te cernent, toi à la 303 et finalement sous les combles ! pas mal pour le panorama et la venue de l’aube
    merci Gilda de nous emmener dans ce monde récemment découvert…

  3. Ça fonctionne loin l’atelier ! Les propositions te permettent d’approfondir tour à tour le voyage à Istanbul, le lien à la Guadeloupe (prop précédente) et ça tisse, et ça tisse. Le premier fragment de ce texte dans la lignée de ce récit qui questionne. E. fait sans arrêt surgir le questionnement chez la narratrice. Le 2, c’est la narratrice observatrice qui capte des fragments de réel qui épaississent la fiction (;-)) et enfin le 3 la narratrice seule avec elle-même et son expérience d’Istambul. Comme trois strates de fiction. Voilà comment ça m’apparait.