Ce qui me manquant le plus de la vie en Chine, ce sont les dormeurs et les dormeuses. En Occident, l’oisiveté est suspecte, qu’on soit vautré ou qu’on piétine nerveusement. Mais en Chine, dormir quand on n’a rien à faire est tout à fait normal. On dort partout : sur le siège d’une moto, à l’ombre d’une charrette à bras, la tête posée sur un coussin de bureau, ou même dans un lit d’exposition Ikea. J’ai vu des gens étendus sur les pelouses, la tête sous un mouchoir, ou nichés dans un nid de cartons recyclés, assis sur des tabourets, au fond d’une échoppe ou dans une guérite. J’ai même vu un manutentionnaire tranquillement endormi sur un canapé posé sur la remorque d’un camion de déménagement, entouré d’un bric-à-brac d’objets hétéroclites. Loin des clichés qui présentent les Chinois comme une armée de fourmis laborieuses, c’est le souvenir d’un peuple de dormeurs qui m’est resté. Bien sûr, derrière cette grande scène burlesque du sommeil, se cache l’épuisement des petites mains de la gigantesque machine économique chinoise, la quête d’un équilibre vital pour éviter la maladie, l’oubli bienfaisant des préoccupations politiques, et sans doute aussi la trace du rêve du papillon de Zhuangzi.
« Zhuangzi rêva une fois qu’il était un papillon, un papillon qui voletait et voltigeait alentour, heureux de lui-même et faisant ce qui lui plaisait. Il ne savait pas qu’il était Zhuangzi. Soudain, il se réveilla, et il se tenait là, un Zhuangzi indiscutable et massif. Mais il ne savait pas s’il était Zhuangzi qui avait rêvé qu’il était un papillon, ou un papillon qui rêvait qu’il était Zhuangzi. Entre Zhuangzi et un papillon, il doit bien exister une différence ! C’est ce qu’on appelle la Transformation des choses. »
Imaginant ces dormeurs, c’est un voyage.
Et ce bon vieux Tchouang-Tseu auquel je n’avais pas pensé pour cette consigne.
J’aime beaucoup beaucoup votre texte Geneviève, j’ai imaginé la Chine et tous ces gens qui dorment, je ne le savais pas, merci et aussi pour la photo, c’est un plaisir de vous lire.