il somnolait la bouche ouverte les joues creuses les fausses dents rentrées la tête roulant sur le côté les bras offerts sur l’accoudoir les mains imperceptiblement vivantes détendues autant que de vieilles mains percluses de rhumatismes et de déformations puissent être détendues les doigts tordus aux articulations exagérément grossies s’accrochaient sur l’arrondi en bois d’acajou du fauteuil des doigts autrefois habiles qui avaient noué de nombreux lacets de chaussures réalisé avec adresse de nombreux bricolages à la maison mais aussi qui avaient manié des armes en temps de guerres des mains qui avaient serré des mains d’enfants sur le tard des mains qui avaient dispensé des caresses charnelles elles reposaient là abandonnées mais si sûrement vivantes en prolongement de ce corps décharné encore solide et fier assis dans la pénombre – ce serait l’heure de la sieste comme quand l’été il s’allongeait dehors dans une chaise longue à l’ombre tournante de la maison et dont le plein soleil sonnait la fin aucun bruit ne devait venir troubler cet instant de grâce surtout pas des cris d’enfants alors il se levait reculait le transat à l’ombre prenait un livre et attendait ainsi le moment propice de retourner dans son jardin un potager dont les allées étaient tirées au cordeau et les bordures de pierres si parfaitement alignées qu’il était impensable de venir danser dans les plates-bandes si amoureusement tenues – les bras aujourd’hui si frêles abandonnés au sommeil avaient pourtant fauché inlassablement de grands carrés d’herbe à une époque où le bruit des tondeuses ne dérangeait pas le sommeil et retourné la terre à la bêche ; il transpirait alors beaucoup ne gardant sur le corps qu’un tricot de coton sans manches qui découpait sur ses épaules robustes la marque du bronzage laissant voir le contraste entre une peau tannée par le soleil et une peau très blanche très fine perlée il aimait la chaleur mais il avait les shorts en horreur il avait pourtant les jambes longues glabres le mollet bien dessiné ses pieds chaussés d’espadrilles en toile à la semelle tressée de corde ou de bottes en caoutchouc arrivant à mi mollets quand il fallait braver la pluie et que la terre collait aux semelles ravageant les allées – les pieds aujourd’hui croisés la pantoufle négligemment glissée sur le tapis il dormait offrant ainsi ce corps usé au regard curieux de qui passerait la tête par l’encoignure de la porte une double porte vitrée qui n’avait jamais été fermée laissant deviner pieds nus sur le carrelage froid les ombres en chemise qui hantaient le couloir la nuit pour gagner les toilettes à l’autre extrémité et cette ouverture sur le noir de la salle à manger aspirait notre courage ; nous avions peur quand il fallait longer la porte d’entrée comme un danger redoutable un rai de lumière filtrant depuis le palier provenant de la cage d’escalier encore allumée le câble de l’ascenseur claquait invariablement sitôt la cabine franchissant le deuxième étage – il dormait ignorant tout de l’écriture
Quel beau texte émouvant. Et oui sans ponctuation c’est très fort.
Merci
C’est bien beau cet aller retour entre sommeil et souvenir. bravo
merci Bernard pour lecture et commentaire