#anthologie #24 | dans le TER

Dans le TER qui rejoint Lyon à Valence.
En face de moi, une jeune femme souriante. Après consultation obligatoire de son smartphone, elle s’endort. Son visage si plaisant éveillé se transforme, ses mâchoires se serrent pour ne laisser qu’un filet de lèvres et surtout, elle fronce les sourcils si fort que de profonds sillons courent du front jusqu’aux ailes de son nez. 
Je m’interroge : — qu’est-ce qui la pousse à pareille crispation pour dormir ? On dirait qu’elle fait un effort de concentration, l’endormissement n’est plus un apaisement mais plutôt une obligation, voire un supplice. Sa frange coupée toute droite lui donne un air de petite fille butée sortie des Malheurs de Sophie. Son menton s’est maintenant affaissé faisant naître un goître disgracieux. 

Et moi ? Quel visage j’offre à ceux qui me regardent dormir, suis-je si différente de celle que j’examine ? 
Nuits sans sommeil, fatigue accumulée, me voici à mon tour victime du roulis apaisant du train. Je m’endors et c’est en me réveillant que je fais l’inventaire de mes postures. Les bras croisés bien serrés contre mon giron, sur le sac à main, le mal de cou signale ma tête relâchée en biais contre le dossier, au coin des lèvres côté droit et jusque sur le menton de la salive, je m’imagine donc tête cloche, bouche ouverte et bave coulante. Le tableau est édifiant, dans le regard de la jeune femme réveillée je lis que ça ne devait pas être esthétique. 

Je me souviens de l’avoir vu dormir, éreinté par la maladie, couché sur le côté, son profil bien dessiné sur l’oreiller, il était beau, juste avant de mourir quelques jours plus tard.

Un commentaire à propos de “#anthologie #24 | dans le TER”

  1. Une grande intensité dans ce texte, de l’observation, à l’introspection jusqu’au souvenir. Merci.