#anthologie #24 | corps sans toi

Dormir à l’hôtel, cela t’arrivait rarement. Partir ensemble, loin, encore plus rarement. On te confiait la gamine. Plus courant ça. Très courant. L’hôtel donc. Une chambre. Tantôt un seul lit, grand, tantôt deux, petits. Selon ce qui reste. Le train, les déambulations, la marche et autre procession, le repas que tu n’as pas à préparer, le repas servi. Repue, tu dors déjà. J’ai vu la combinaison rose, la gaine, les bas tenus par les accroches en fer, le dessous de toi, la chair. Tu dors déjà. Ni livre ni carnet. Fermer les yeux, dormir. Tu t’absentes. Seule dans cette ville étrangère, seule dans cet hôtel. Seule avec cette étrangère. Seule avec toi telle que je ne veux pas te voir. Seule avec toi sans toi. Le ronflement d’abord. Le palais visible. Le corps qui vibre. La suspension de la respiration. L’attente angoissante. Soulagement de l’entendre à nouveau. Dégoût aussi. Dégoût de mon dégoût. Toi inaccessible – te réveiller je n’y songe pas. Je sais ta fatigue. Toi étrangère. Toi  devenue chose, corps, corps que je peux regarder par-devers toi, observer, mater, regarder crument, détailler, le nez proéminent, la peau épaisse, le grain de beauté boursouflé. Je ne veux pas voir cela. Comme une maison visitée en l’absence de son propriétaire. Je veux venir chez toi, que tu m’ouvres la porte, m’embrasses. Je ne veux pas d’appartement vide, dont les défauts, la misère me sauteraient au visage. Je n’ose te réveiller, je ne peux m’endormir. Où es-tu passée? Toi qui veilles habituellement sur mon sommeil, si tu savais qui m’empêche de dormir, si tu voyais la vieille femme qui m’effraie, sûr que tu la ferais déguerpir, sans ambages tu t’y prendrais, pas l’habitude de te formaliser, ouste la vieille, ouste, on ne fait pas peur à ma petite, mais tu ne sauras pas, je ne te dirai pas. J’ai vu ce que tu caches, j’ai vu ce que tes baisers, tes mots, ta parole haute, tes gestes vifs, dissimulent le jour, j’ai vu le corps  sur lequel achoppe la volonté, le corps qui rattache à la terre, qui nous fait nous écrouler, le corps comme un animal aveugle, boyaux, pores, gaz, glotte, sudation, ce corps qui a sa vie propre, ce corps chose, ce corps sans nous, corps bruit, mouvement, odeur, tremblement, ce corps sans visage, sans voix, sans regard, ce corps sans toi.  

A propos de Betty Gomez

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