Quelque chose subsiste des premiers temps de cette ferme : les cabinets à la turque. Ceux qu’utilisèrent fin 19ème, début 20ème, les fermiers, les métayers, les ouvriers agricoles, les journaliers, les vendangeurs, les égrappeuses, les trieuses, les cuisinières des repas de moissons ou de vendanges. Mais aussi les tonneliers, les menuisiers, le maréchal ferrant, voire le bouilleur de cru, car cette ferme est très ancienne et a longtemps vécu en autarcie. Ces cabinets : une cahutte au toit de tuiles, pointu, garni d’une corniche en bois, peinte en vert. Un très joli vestige en fait. Ouvrons la porte de vieilles planches mal jointes : un sol en béton, deux petites marches pour y poser les pieds et un trou pour y faire sa petite affaire.
Parfois j’imagine ce qu’il y a sous ces cabinets. Je me dis, c’est une fosse. Pas du tout ; c’est un ancien silo à grains et je vois les hommes y verser la moisson sous la voute de briques. Les briques n’ont pas la forme de celles des maisons qu’on voit dans le pays ; certes elles sont parallélépipèdiques, mais elles sont plus étroites, plus grandes et moins épaisses. Un jour, la voute s’est écroulée et deux hommes, qui travaillaient à aérer les grains ont été ensevelis. Par certaines nuits sans lune, on entend leurs cris de surprise et d’effroi, et très vite ceux de leurs compagnons affairés à les extraire de l’amas de briques et de grains, par l’accès au silo que ferme une plaque de ferraille carrée de soixante-dix centimètres de côté.
plus bas on pourrait découvrir une tonnellerie. Avec sa zone de stockage du bois à vieillir et son atelier. On y fabriquerait des tonneaux pour le vin, l’eau de vie ou d’autres produits alimentaires. On y trouverait en vrac des planes et des herminettes pour façonner les douelles (planches incurvées qui forment le corps du tonneau), des compas et des échappoirs (pour mesurer et ajuster les courbes), des chalumeaux pour chauffer et courber les douelles ; toutes sortes de pinces (les dogues), des maillets et des fers, des cercles de métal de différents diamètres. Ceux-ci seraient chauffés et martelés pour tenir les douelles ensemble. Le maître tonnelier serait entouré d’ouvriers dédiés à des étapes successives de la fabrication (découpe des douelles, ajustement des cercles) et de quelques apprentis. La tonnellerie serait un lieu essentiel à l’économie de la ferme.
et plus bas encore, il y aurait une forge ; indispensable pour confectionner, réparer les outils, les ferrures et tous les objets métalliques. Un grand espace, avec un foyer alimenté en bois, équipé d’un soufflet en cuir, actionné manuellement ; une enclume sur laquelle le forgeron martèlerait le métal chauffé (elle serait fixée au sol par un boc de bois). Accrochés au mur toutes sortes de marteaux et de pinces pour tenir les pièces chauffées sans se brûler. Et des étaux et des établis. Et indispensable, près de de l’enclume un bassin d’eau pour plonger les métaux chauffés pour les refroidir. Le forgeron de la ferme fabriquerait des fers pour les chevaux et les bœufs, ce ne sont pas les mêmes. Tout cela dans une chaleur étouffante et un bruit épouvantable. Il devrait aussi finir une commande de houes et de bêches. Il houspillerait ses apprentis. Dans l’odeur caractéristique du métal chauffé et du charbon qui brûle. Beaucoup de fumée et un éclairage à lampes à huile. On n’y verrait pas grand-chose, nous serions déjà au troisième sous-sol. Ce serait rude ;
et plus bas,…. ;
et plus bas encore ;
et tout en bas, des Romains occupés à poser une mosaïque, si belle, si bien faite qu’elle franchirait les siècles.
Hollala mais quelle richesse de vocabulaire et d images . Un point de départ inattendu et original qui nous emmene très bas … et très loin ds le temps . Merci .
Merci Carole. Je ne suis pas bien contente de mon texte. Mon idée de départ était bonne, mais j’ai manqué de temps, en raison du mariage de mon fils.
Qui fait remonter très haut en emmenant si profond . Merci pour la richesse des mots ancrés dans leur geste .
Merci. Je ne pensais pas en commençant à écrire que cela marcherait si bien. Comme quoi, il faut se lancer.